Intervention de Jean-Yves Le Déaut

Séance en hémicycle du 19 janvier 2016 à 15h00
République numérique — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Déaut, président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques :

Je voudrais tout d’abord féliciter Mme la secrétaire d’État de cet excellent texte sur la République numérique. L’OPECST, dans le rôle d’investigation des questions scientifiques et technologiques qu’il joue en amont de la législation, travaille depuis longtemps sur ce sujet.

Le numérique est entré dans une troisième phase. La loi informatique et libertés de 1978 ne traitait que des bases de données consultées via des terminaux passifs. Avec la loi de 2004 pour la confiance dans l’économie numérique – avec Patrick Bloche, nous sommes un certain nombre à y avoir travaillé – nous étions déjà dans les réseaux et le net. Depuis ces dernières années nous travaillons sur la sécurité des systèmes informatiques. Notre collègue Anne-Yvonne Le Dain ici présente et le sénateur Bruno Sido ont d’ailleurs commis un rapport sur ce sujet. Ils s’y disent favorables à l’instauration, pour des questions d’hygiène et de bonnes pratiques informatiques, qui n’ont pas toujours cours, même dans les entreprises, d’un permis d’aptitude à l’utilisation du numérique. Il faut réfléchir à cette question.

Aujourd’hui, il faut donc s’adapter à une troisième génération d’outils numériques et prendre en compte la dissémination accélérée des objets connectés. La miniaturisation atteint maintenant des degrés tels qu’on peut insérer des capteurs de données minuscules, qui ont de surcroît la capacité de transférer immédiatement ces données. Cela peut être très pratique pour régler des problèmes domotiques, mais également pour exercer une surveillance ou disposer de données sur le plan économique.

Nous avons travaillé sur ce sujet des objets connectés dans le domaine agricole. L’utilisation de tels objets pour récupérer des données, puis le traitement massif de celles-ci en big data permet de passer à ce qu’on appelle une « agriculture de précision », qui prend en compte par un pilotage automatique les besoins différenciés du sol en apports externes, mètre carré par mètre carré. Cela permet d’augmenter le rendement tout en diminuant les coûts. Le problème, c’est que ces machines agricoles et ces services de pilotage automatique sont quasiment tous américains et que la récupération de ces données se fait au bénéfice d’entreprises et non de nos agriculteurs. Les acteurs français du secteur sont prêts à réagir, à condition que la loi leur donne la possibilité d’accéder à ces données, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Cette évolution en cours dans l’agriculture se produit dans presque tous les secteurs de l’économie. Il est donc essentiel d’avoir juridiquement accès aux données qu’on produit sur soi-même via les objets connectés, non seulement pour prendre la mesure de la surveillance dont on fait l’objet – cela soulève le problème de la liberté individuelle – mais surtout pour avoir le moyen de développer des services concurrents d’utilisation de ces données.

C’est pourquoi le principe posé par l’article 21 du projet de loi m’apparaît excellent. Il faudra l’inscrire dans des conventions internationales et le discuter au cours des prochains rounds des négociations internationales. En effet l’intérêt de récupérer des données de façon occulte peut se situer n’importe où : savoir sur quelles pistes s’orientent les recherches d’un pays ou d’un type d’industrie est une information précieuse.

Je voudrais, madame la secrétaire d’État, exprimer la satisfaction de la communauté des chercheurs du numérique de voir mis en place à l’article 17 un régime d’open access des publications scientifiques. Celles-ci vont devenir accessibles sans embargo ni frais jusqu’à la « version auteur acceptée ». Il est prévu en revanche un embargo sur la « version éditeur » et c’est une très bonne chose.

L’article 29, lui, suscite une petite déception, ou du moins ne l’aurions nous pas rédigé ainsi : il attribue à la CNIL la compétence de la réflexion éthique en matière numérique. Certes cette instance pourra en tant que de besoin faire appel à des personnalités qualifiées pour assurer cette nouvelle mission, mais il aurait été plus logique de permettre sur ce sujet qu’elle dialogue avec une structure indépendante. On ne peut à la fois être contrôleur et contrôlé, régulateur et concepteur des règles et des normes. Pour éviter de créer un organe administratif nouveau, avec les frais que cela suppose, on aurait pu, comme Gérard Bapt le suggère, étendre les compétences du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé à une nouvelle section dite « sciences, technologies et usages du numérique », d’autant que le numérique pose de nombreux problèmes en termes de confidentialité en matière de santé. Cette suggestion n’est pas reprise en l’état du texte.

L’OPECST est cependant très satisfait des avancées contenues dans ce texte, car elles correspondent aux attentes de la communauté scientifique et de la communauté du numérique. Elles doivent permettre à la France de devenir une République numérique, conformément à votre souhait.

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