Intervention de Lionel Tardy

Séance en hémicycle du 19 janvier 2016 à 15h00
République numérique — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLionel Tardy :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, messieurs et madame les rapporteur et rapporteurs pour avis, mes chers collègues, puisque le numérique est le domaine du virtuel, nous, députés Républicains, en avons profité pour faire un rêve.

Nous avons rêvé que le Gouvernement avait une stratégie numérique cohérente, capable d’appréhender toutes les facettes de cette transformation de la société, sans verser dans l’angélisme ni la stigmatisation et sans oublier le volet économique.

Nous avons rêvé que, derrière la communication et l’affichage, il y aurait aussi du concret, de la lisibilité et une réelle volonté de développer l’accès au numérique, et notamment aux données.

Nous avons rêvé d’une réelle réflexion, construite, s’inspirant des avis de chacun sans tomber dans la surenchère ou la facilité.

Nous avons rêvé d’un gouvernement qui comprendrait enfin que dans beaucoup de cas légiférer sur le numérique doit se faire a minima au niveau européen. Laisser l’Europe agir sur l’ensemble de son territoire n’est pas un aveu d’échec mais une condition du succès de toute réglementation numérique.

Et puis nous avons découvert le projet de loi « pour une République numérique ». Cela faisait trois ans qu’un texte sur le numérique était attendu et annoncé, et toujours repoussé. Son contenu n’a pas cessé d’être modifié. On ne compte plus les études, colloques, avis et rapports qui ont été produits entre-temps.

Avec toute cette matière, il y avait de quoi mettre en place des mesures, non pas pour réguler et contraindre, mais pour faciliter l’économie numérique. On aurait pu penser que ce temps de réflexion inspirerait le Gouvernement et qu’il serait mis à profit également pour enrichir ce texte avant son examen au Parlement. Pourtant les différentes versions du texte qui ont fuité depuis l’été dernier montrent que le résultat final est davantage dicté par les réunions interministérielles que par les nombreuses expertises qui ont pu être fournies.

Il y a eu, bien sûr, l’inévitable « consultation citoyenne » lancée par le Gouvernement. C’est une bonne idée et je crois qu’ici personne ne le conteste. Il est sain que les citoyens puissent s’exprimer sur les textes présentés au Parlement. Je suis en revanche plus dubitatif sur le bilan que l’on peut en tirer.

Avec plus de 8 000 contributions, le succès de la consultation est indéniable. Il y a de tout dans ces propositions – j’en ai moi-même repris quelques-unes dans mes amendements ! Mais la finalité n’est pas de savoir si les geeks ont un sens politique, mais si les politiques comprennent le sens du numérique. En d’autres termes : qu’en a tiré le Gouvernement ? Eh bien, très peu de propositions ont été retenues. Prenons l’exemple de l’article sur les compétitions de jeux vidéo : il ne s’agit au départ que d’une habilitation à légiférer par ordonnance, comme si le Gouvernement ne savait pas comment reprendre cette proposition !

Par ailleurs, à mes yeux, la consultation citoyenne doit s’inscrire dans un état d’esprit plus large : celui de la réflexion et de la prise en compte des apports de chacun. Cet état d’esprit, si tant est qu’il ait existé, a depuis volé en éclat. Simple exemple : la consultation a duré trois semaines et nous devrons examiner ce projet de loi en moins de deux semaines ! Et je ne parle même pas du délai de travail entre la commission et la séance, qui a été ridicule.

Ne doutant de rien, le Gouvernement a même décidé d’appliquer la procédure accélérée. Comme si les trois années de préparation de ce texte n’avaient pas suffi, il a dû faire adopter son projet de loi en conseil des ministres le 9 décembre dernier pour un examen un mois après au Parlement ! Le délai réglementaire de six semaines ne pouvait donc pas être respecté, ce qui, compte tenu de la longueur du texte, n’aurait pourtant pas été un luxe.

Avec une telle procédure d’urgence, il est possible qu’il n’y ait pas de deuxième lecture, ce qui serait inacceptable compte tenu du nombre de problèmes à régler et d’incertitudes à lever, comme tout le monde a pu le constater lors de l’examen du texte en commission des lois. Madame la secrétaire d’État, je souhaite donc avoir un engagement clair de votre part pour que le Gouvernement ne convoque la commission mixte paritaire qu’à l’issue de deux lectures.

Ces éléments contextuels nous amènent à nous poser une question : une véritable réflexion transversale sur le numérique a-t-elle eu lieu ? Je crains que la réponse ne soit négative. Il y a en effet de quoi douter quand on voit le saucissonnage auquel s’est livré le Gouvernement.

Nous avons d’abord vu débarquer au mois de juillet un projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public, que nous appellerons « loi Valter ».

La France avait certes pris du retard dans la transposition de la nouvelle directive « PSI » – Public sector information – mais plutôt que d’attendre quelques mois pour intégrer des dispositions sur l’open data dans le présent projet de loi, le Gouvernement a décidé de faire un texte de transposition de manière isolée, en renvoyant le reste à… plus tard. Le résultat n’est pas négatif mais il est forcément décevant. Surtout, comme on pouvait s’y attendre, il va déjà falloir réécrire des articles dont l’encre est à peine sèche.

Nous étions aussi nombreux à attendre des dispositions portant davantage sur l’économie du numérique et sur la fiscalité. Là encore, le Gouvernement a choisi une approche segmentée en renvoyant ce type de mesures à une hypothétique loi « Macron 2 » dont on ne sait pas trop si elle sera finalement débattue telle quelle.

Sans compter, enfin, les propositions sur le numérique au travail et le rôle du numérique pour l’emploi. Les rapports de Bruno Mettling et du Conseil national du numérique pourraient être traduits dans la loi annoncée sur la réforme du code du travail, qui s’ajoute donc à la longue liste des lois traitant potentiellement du numérique autres que le texte que nous examinons aujourd’hui.

Bref, vous l’aurez bien compris, le numérique est victime des ego ministériels et des arbitrages personnels

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