Je salue aussi l’approche du rapporteur Luc Belot, d’autant plus volontiers que ce texte contient des avancées. Les droits du consommateur, ceux du citoyen – j’en suis moins certain – seront partiellement accrus, notamment avec la portabilité des données des fournisseurs, le droit à l’oubli pour les mineurs, le sort des données après le décès.
En réalité, les sujets de critique l’emportent sur les motifs de satisfaction.
Le premier problème, c’est le calendrier. Le texte vient trop tard par rapport à la loi Valter relative à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public. D’un autre côté, il vient trop tôt, puisque l’on annonce au printemps un projet sur les nouvelles opportunités économiques – Noé –, que j’hésite, compte tenu des bisbilles, à baptiser « Macron II » – peut-être s’agira-t-il d’ailleurs plutôt d’un Khomri I. En tout cas, l’affaire est dans l’arche, et nous verrons ce qu’il en sortira. Le présent texte, d’une certaine façon, est pris entre l’enclume et le marteau.
Deuxièmement, viennent les critiques du Conseil d’État. Certes, une partie d’entre elles tombent, puisque le texte sur lequel elles portaient n’est pas exactement celui qui a été présenté en Conseil des ministres et que nous avons examiné en commission. Nous débattons donc d’un texte sur lequel nous ne disposons pas d’un avis complet du Conseil d’État, ce qui montre, du reste, la limite de l’exercice.
Il reste que le Conseil d’État « déplore l’insuffisance de l’étude d’impact qui, sur plusieurs sujets, n’évalue pas les incidences des mesures prévues par le texte ». Notre collègue Catherine Coutelle a dénoncé l’indigence de l’étude d’impact sur l’égalité hommes-femmes. Or l’objet même d’une telle étude n’est-il pas d’éclairer la représentation nationale ainsi que les décideurs ?
Le Conseil relève également le caractère insuffisamment normatif de certaines dispositions, ce qui nous rappelle un certain rapport annuel sur la « loi bavarde » – un problème auquel on sait le président de la commission des lois particulièrement sensible. Le Conseil constate enfin le « décalage entre le contenu du projet de loi et son titre » – je l’évoquais en introduction –, allant jusqu’à proposer un nouveau titre, que nous reprendrons par voie d’amendement : « Projet de loi sur les droits des citoyens dans la société numérique ». C’est plus modeste, mais sans doute plus réaliste !
Troisièmement, l’impression se dégage d’un village gaulois qui résisterait, voire qui s’enfermerait dans une législation par trop franco-française. Le règlement européen tant attendu sur le sujet est en cours de négociation et surtout de finalisation. Nous y arrivons. Nous n’avons cessé en commission des lois d’y faire référence dans un sens, puis dans l’autre, de façon parfois contradictoire, il est vrai. Le Gouvernement a utilisé ou écarté ce texte.
Au cours de la précédente législature, alors membre de la commission des affaires européennes, j’avais déposé et fait adopter un projet de résolution européenne relatif à la protection des données. C’était en février 2012. Le règlement attendu en 2016 était déjà en « gestation ». Il n’est toujours pas né. Quatre ans se sont écoulés, mais nous y arrivons. Autrement dit, comme le disait tout à l’heure Lionel Tardy, l’encre qui aura servi à écrire le projet de loi numérique sera à peine sèche que la loi risque d’être déjà en décalage avec le règlement. Rappelons qu’un règlement est obligatoire dans toutes ses dispositions et d’application directe, à la différence d’une directive : il ne nécessite aucune transposition. Nous devrons donc l’appliquer tel quel en 2018. Mais quid des contradictions à ce moment et des lacunes d’ici là ?
Le projet sera rapidement promulgué puisqu’il fait l’objet d’une procédure accélérée, ce que je dénonce là encore. Pourquoi vouloir précipiter le débat parlementaire, voire le court-circuiter ? Espérons que ce ne sera pas le cas. Ce serait en tout cas d’autant plus fâcheux que le débat public et citoyen a été mis en avant.
Bref, nous risquons d’aboutir à des textes contradictoires entre le règlement et le présent projet. Le Conseil d’État le disait il y a quelques semaines déjà. Il sera « difficile d’apprécier la parfaite adéquation [de certains articles] aux règles européennes en cours d’élaboration ». La discussion de nombreux amendements en commission des lois a bien souvent mis en évidence ces contradictions. Nous verrons en séance publique ce qu’il en adviendra.
Cinquièmement, les réponses que le projet esquisse aux besoins de couverture numérique de l’ensemble du territoire ne sont ni assez concrètes ni assez précises. La fracture numérique demeure. Le fossé entre les territoires est énorme. Or, cet aspect est essentiel pour assurer l’égalité entre les citoyens, que vous appelez de vos voeux dans cette République, surtout au sein des territoires ruraux. C’est un élément incontournable de l’aménagement des territoires. Si des départements mènent une politique numérique très volontariste – je citerai volontiers celui de la Manche, au hasard bien sûr…