Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers collègues, nous avons tous une conviction forte : la France doit demeurer aux avant-postes de l’essor du numérique. Ce projet de loi pour une République numérique a l’ambition d’y contribuer.
Le numérique touche tous les aspects de la vie quotidienne de nos concitoyens et de nos entreprises, mais il est aussi une question démocratique. Il donne une résonance inédite aux aspirations des citoyens et infuse de nouvelles demandes d’accès à l’information et à la connaissance.
Ce projet de loi accompagne ce changement en inscrivant les grands principes de la circulation des données publiques, de la protection des données personnelles dans la société numérique, et du renforcement de son accessibilité.
Transparence grâce à l’ouverture des données publiques pour encourager l’innovation et l’efficacité, progrès du droit des citoyens, principe de loyauté des plateformes, neutralité des réseaux et portabilité des données, progrès social pour les personnes en situation de handicap, ce sont autant de débats législatifs passionnants sur des sujets complexes.
Dans l’industrie et les services, le numérique a modifié les méthodes de travail et de production. La fameuse « ubérisation » de l’économie a sa face dorée avec un accès plus simple à l’emploi et aux services, une certaine souplesse et un coût moins élevé, mais elle présente également un côté plus obscur dont la concurrence déloyale, la précarité, la perte d’assurances sociales et de recettes fiscales sont des exemples.
Nos administrations sont aussi concernées par le numérique. Source d’opportunités, celui-ci est souvent vécu comme une menace pour qui maîtrise mal ses outils ou craint la disparition des services publics de proximité. C’est un défi considérable de formation des agents au sein des administrations. Nous devons penser ensemble ce défi pour que l’opportunité du numérique soit mieux intégrée par les agents et que ceux-ci puissent être accompagnés dans l’exercice de leurs pratiques professionnelles.
Internet contribue aussi à renforcer l’exigence de transparence que le citoyen est en droit d’attendre. La transparence, c’est l’enjeu principal de ce projet de loi, c’est le mot totem et tabou. Pour résumer, disons qu’elle doit s’appliquer largement dans la sphère publique mais s’effacer dans la sphère privée.
Nous débattrons du niveau de transparence publique et d’ouverture des données, des personnes concernées, des types de licence, des protections de la vie privée, du prix à consentir.
L’ouverture des données publiques donne à l’écosystème des jeunes entreprises innovantes les moyens de créer de nouveaux services pour les citoyens. Bien souvent, les entrepreneurs de l’internet imaginent des services utiles que l’État n’a pas encore mis en place. La méthode d’élaboration du projet de loi pourrait illustrer ce propos. De nombreux acteurs concernés se sont emparés du sujet et ont fourni des contributions utilisées par le Conseil national du numérique pour écrire le rapport relatif à la stratégie numérique du Gouvernement.
Ce rapport a été le socle du projet de loi dont une première version a été soumise à l’ensemble des concitoyens via une plate-forme en ligne inédite, en toute transparence. Ces contributions sous forme d’amendements citoyens ont donné lieu à plusieurs dizaines de modifications.
Au nom des députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, je tiens à saluer cette belle et féconde initiative du Gouvernement. Après le processus de concertation, voici venu le temps pour le Parlement de débattre, de modifier et de voter la loi.
Trois titres et quarante-huit articles composent ce projet de loi.
Tout d’abord, le titre I relatif à l’ouverture des données vise à bâtir un support juridique pour garantir la diffusion et le traitement de celles-ci dans les conditions de confiance indispensables à leur partage.
Sauf dérogation, les données publiques ont vocation à s’ouvrir et se diffuser pour promouvoir l’innovation et consolider le lien démocratique. Les débats autour de ce titre portent sur les modes d’ouverture, les façons de diffuser, les formats, et les droits pour la réutilisation. Ce titre concerne les administrations, les chercheurs, les collectivités et les délégataires, et il crée même un nouveau service public de la donnée.
Le titre II tend à créer de nouveaux droits pour protéger nos concitoyens, lutter contre les appréhensions en favorisant la confiance.
D’un côté, le numérique catalyse leur exercice en encourageant la liberté d’expression, l’accès à l’information et la liberté d’entreprendre des voies nouvelles d’expansion.
De l’autre, il synthétise des risques nouveaux : discriminations, atteintes à la vie privée, activités illicites.
Cette ambivalence s’est accentuée à mesure que les flux de données numériques s’intensifiaient et se diversifiaient, que les opérations de traitement de ces données se complexifiaient et s’automatisaient.
Dans le domaine de la protection des données personnelles, le principe d’un consentement éclairé, le droit de rectification ou d’opposition, le principe de proportionnalité dans la collecte et la conservation des données sont réaffirmés.
Par ailleurs, le fonctionnement des réseaux et le traitement des données numériques doivent être encadrés, alors que le pouvoir économique des opérateurs et des plateformes dépasse désormais celui des éditeurs et des hébergeurs.
Le poids respectif des différents acteurs numériques dans l’apparition, l’essor et la gestion de risques inédits appelle un nouveau partage des responsabilités au bénéfice des individus comme des autorités publiques.
Dans le titre II, la définition de la neutralité du net renforce l’objectif d’égale accessibilité aux réseaux. Les articles relatifs à la libre disposition des données personnelles permettront une collecte plus transparente et loyale des données numériques, en renversant la logique de la loi CNIL.
Désormais, l’individu sera souverain quant à l’utilisation de ses données, qu’il s’agisse de la portabilité des données, de la mort numérique ou du droit à l’oubli pour les mineurs.
Le titre III traite de l’accessibilité, pour les personnes en situation de handicap, au téléphone et à internet, dans les administrations comme dans les entreprises.
Enfin, cinq articles concernent la couverture numérique du territoire afin de favoriser l’accès à l’internet de tous les services publics. Nous vous proposerons des amendements pour améliorer certains points qui nous semblent perfectibles.
S’agissant de l’ouverture des données, il reste plusieurs sujets autour des formats de fichiers, de la disponibilité, de la réutilisation, ou de la protection de la vie privée.
Le texte présente également des risques pour l’édition scientifique. Comme en commission, nous vous proposerons des amendements pour atténuer les coups portés aux éditeurs et à la chaîne de diffusion de la recherche française.
Nous devons par ailleurs accélérer la transformation de la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques – CSSPPCE – en un outil plus efficace pour assurer le contrôle parlementaire d’un secteur numérique élargi. Sa nouvelle appellation, la commission parlementaire du numérique et des postes, adoptée en commission des lois, est un premier pas.
Enfin, certains de nos amendements viseront à améliorer la couverture numérique du territoire. À ce sujet, le projet de loi nous semble manquer d’ambition. Il ne s’agit pas là d’un texte financier et le financement, qui est au coeur du déploiement du très haut débit, n’est pas traité.
Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement a présenté un plan semble-t-il ambitieux pour déployer le numérique sur tout le territoire. Nous l’avons soutenu, même si nous n’avons jamais caché nos doutes et nos craintes pour les zones rurales et de montagne. Le cadre juridique est posé et stabilisé, notamment afin de régler la concurrence entre les opérateurs. Des accords de co-investissement pour le déploiement d’un réseau unique mutualisé ont été conclus et les montants sont impressionnants dans les zones rentables.
Pourtant, encore une fois, comme à chaque déploiement de réseaux, certains en France sont presque systématiquement oubliés, sacrifiés, laissés sur le bord de la route : ce sont les habitants de nos campagnes.