Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, nous devons faire prévaloir notre conception de l’avenir numérique – et je serai, sur ce point, moins pessimiste que l’oratrice qui m’a précédé.
Au cours de ce débat, nous irons bien au-delà du rappel des promesses de la révolution numérique. Nous devons veiller, avant tout, à ce que ces promesses se traduisent en progrès pour les Français. Le numérique, c’est l’occasion de donner du pouvoir aux utilisateurs des réseaux numériques. C’est même la condition d’un nouvel âge démocratique.
La France a aujourd’hui un immense besoin de projets optimistes et mobilisateurs. Nous vivons dans un moment d’immenses changements, qui pourraient, si nous n’agissons pas, échapper à toute maîtrise collective et à toute forme de régulation. Le besoin de protection existe dans le monde numérique, à commencer par la protection de nos données personnelles, celle des citoyens et des internautes usagers des réseaux numériques.
Nous retiendrons aussi, en commençant cette discussion, madame la secrétaire d’État, que le numérique, ce n’est pas seulement l’économie, c’est aussi la démocratie, l’accès à la culture, la nouvelle géographie des territoires. Il y a dans ce projet de loi, dans le débat qui s’ouvre, de nouvelles opportunités d’émancipation – et c’est le sens que je préfère donner au mot Noé. Peut-être est-ce celle-ci, la vraie loi Noé.
Cette loi va nous donner l’occasion de mettre en débat des idées et des solutions nouvelles, du moins pour la loi française. La neutralité du net, la loyauté des plateformes, l’autodétermination informationnelle sont des approches nouvelles pour notre droit. L’ouverture des données publiques, monsieur le rapporteur, annonce de vrais progrès, comme l’accès ouvert aux travaux de la recherche française. Et je n’entends pas un seul instant minimiser ces avancées.
La future loi pour une République numérique a pour but de définir des principes nouveaux, des droits et des libertés qui doivent marquer notre époque, comme l’ont fait les belles lois de la IIIe République, en 1881, en 1901 et en 1905. De nombreux travaux ont permis de faire émerger ces nouveaux droits et ces nouvelles libertés. Je songe aux travaux que nous avons menés ici même, avec Corinne Erhel et Laure de La Raudière, sur la neutralité du net. Je songe aussi aux travaux plus récents du Conseil national du numérique, du Conseil d’État et de la commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique, créée par notre assemblée et que nous avons animée pendant plus d’un an avec Christiane Féral-Schuhl.
Votre engagement, madame la secrétaire d’État, permet à ces principes d’entrer en débat dans cet hémicycle. Nous sommes collectivement préparés à affronter vaillamment la modernité numérique. Nous avons donc une très forte responsabilité à l’égard de la réussite de ces débats.
Le Parlement doit toutefois donner, mes chers collègues, des ambitions nouvelles à ce texte, qui n’en manque pas. La loi numérique de cette législature doit être l’occasion d’aborder des questions de fond et de principe. J’en appelle donc au courage d’approfondir et d’amender. Nos commissions ont commencé à le faire. Mais ne cédons pas, quand il s’agit d’approfondir un texte et de l’amender, au premier obstacle ou au premier lobby. Pour ma part, comme vous tous ici je l’espère, je ne reconnais qu’un seul lobby, celui de l’intérêt général.
J’évoquerai à ce stade une seule question, celle des biens communs informationnels. S’agissant de la couverture en très haut débit, j’interviendrai dans le débat car je crois que l’action publique reste encore aujourd’hui trop dispersée et qu’elle manque collectivement d’ambition, du côté non seulement de l’État mais également de l’ensemble des acteurs publics et de la société.
Mes chers collègues, l’irruption des biens communs informationnels est un des phénomènes sociaux majeurs de ces trente dernières années. Elle marque la civilisation numérique. Il est grand temps de procéder à leur reconnaissance en droit positif. Pour ma part, je n’imagine pas un seul instant qu’une loi numérique en 2016 ignore les « communs informationnels ». Le temps est venu, le sujet est mûr. Il est débattu au Parlement depuis plus d’une décennie. Il figurait, madame la secrétaire d’État, dans votre avant-projet et la consultation l’a plébiscité.
Comprenons-nous bien : j’ai, comme chacun ici, la passion de la création, je connais l’histoire des droits d’auteur, de Beaumarchais à nos jours. Mais j’affirme que notre proposition, acceptée par la commission des affaires culturelles, ne met nullement en danger les droits d’auteur. Je pense même qu’elle en protège beaucoup et j’aurai l’occasion de le dire dans le débat. Il s’agit de reconnaître et de protéger comme « biens communs » pour un usage libre par le plus grand nombre des biens numériques parmi lesquels il convient de placer des oeuvres inappropriables mais qu’il faut protéger, des oeuvres élevées dans le domaine public, des logiciels libres ou d’autres oeuvres en licence libre ou en creative commons.
Mes chers collègues, le numérique n’est pas un mirage. C’est notre monde réel de tous les jours. Il n’y aura pas de numérique sans République. C’est pourquoi je souhaite que nos travaux soient marqués par une totale ouverture : c’est à ce prix seulement qu’ils marqueront le nouveau monde numérique.