Intervention de Luc Belot

Séance en hémicycle du 20 janvier 2016 à 21h30
République numérique — Article 9

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLuc Belot, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Ma réponse vaudra pour une grande partie des amendements déposés sur l’article, sur ce sujet important, qui revient de manière régulière. Je serai donc un peu long, même s’il faut savoir ne pas abuser des bonnes choses.

Je remercie les orateurs d’avoir opéré une distinction entre le logiciel libre et le logiciel gratuit. Certains articles de presse, qui vont un peu loin en matière de simplification, laissent entendre qu’il existe un lien direct entre les deux, alors que ce n’est pas aussi simple.

Ce sont les services à la fois de l’État et des collectivités locales qui sont en cause. Avant de devenir parlementaire, j’ai été chargé, au sein d’un exécutif local, des questions liées aux services informatiques, et j’ai dû choisir entre logiciel libre et logiciel propriétaire. J’ai privilégié tantôt l’un tantôt l’autre, et j’ai apprécié de pouvoir le faire sans que l’État n’intervienne dans mon choix. Dans le cadre de la libre administration des collectivités locales, c’est quelque chose à quoi on se doit d’être attaché.

Vous évoquiez à l’instant, madame Batho, la discussion en commission sur la portée normative du verbe « encourager ». Je vous rappelle que j’avais un avis extrêmement réservé sur ce terme, pour cette raison de portée d’abord, et aussi du point de vue du principe de libre administration des collectivités territoriales.

Vous proposez maintenant d’écrire que les logiciels libres seront utilisés « en priorité ». Je voudrais appeler votre attention sur certains points, de manière à nourrir la réflexion sans pour autant apporter de réponse tranchée – car je n’aime pas que l’on caricature les idées de tel ou tel en affirmant qu’il est pour ou contre le logiciel libre. L’enjeu est de savoir si l’on décide d’accorder une priorité aux logiciels libres dans le cadre des services de l’État. Nous sommes ici pour écrire la loi, et il faut garder à l’esprit que tous les éléments retenus doivent être constitutionnels.

L’expression « utilisés en priorité » me pose problème. D’abord, elle s’accorde mal avec le droit de la commande publique – largement communautarisé – qui prévoit que les candidats sont placés dans une situation d’égalité et de libre accès. Vous avez cité, monsieur Gosselin, les orientations pour l’usage des logiciels libres dans l’administration publiées en septembre 2012 par Jean-Marc Ayrault, document qui avait été salué par la communauté du logiciel libre et rédigé dans un souci d’égalité. Je préférerais que l’on reste dans ce cadre, qui me semble juste, y compris en ce qui concerne la commande publique.

D’autre part, nous disposons d’un certain nombre d’éléments concernant la jurisprudence constitutionnelle, qui est particulièrement fournie, qui me font craindre qu’une telle mesure ne soit déclarée inconstitutionnelle. En effet, le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

Il est ainsi arrivé qu’une disposition soit déclarée contraire au principe d’égalité, comme dans le cas de la décision 2001-452 relative à la loi portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier. Cette décision admet que la loi peut prévoir un accès préférentiel aux marchés publics en faveur de structures coopératives et associatives visant à promouvoir l’emploi de personnes rencontrant des difficultés particulières d’insertion, mais ajoute que cette dérogation doit en rester une ; il en résulte que la préférence instaurée par le législateur doit porter sur une « part réduite, pour des prestations définies et dans la mesure strictement nécessaire à la satisfaction des objectifs d’intérêt général ainsi poursuivis », ce que ne faisait pas la loi en cause, dont les dispositions se caractérisaient tant par leur ampleur que par leur imprécision. Je voudrais que nous ayons ces éléments en tête au moment où l’on veut introduire l’expression « utilisés en priorité » dans le texte.

Je préfère donc en rester à la rédaction actuelle, même si j’avais émis des réserves à son sujet en commission. Parler d’usage prioritaire me paraîtrait trop dangereux en termes de droit de la concurrence, d’atteinte à liberté d’entreprendre et de jurisprudence constitutionnelle. Avis défavorable, donc.

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