Il s’agit en revanche de protéger l’après : de protéger l’oeuvre soixante-dix ans après la mort de l’auteur en proposant une définition positive des domaines communs informationnels.
Il s’agit d’empêcher qu’une oeuvre soit attaquée par d’autres droits alors que, de fait, celle-ci est dans le domaine public. J’ai longuement parlé du droit des marques qui empêchait, par exemple, les oeuvres de Sir Arthur Conan Doyle d’être utilisées par tous en raison de l’existence d’une marque « Sherlock Holmes » déposée par les ayants droit. Il existe depuis peu la marque « Journal d’Anne Frank » déposée par le fonds Anne Frank.
Les tribunaux ont en permanence à traiter de ces affaires parce que les ayants droit, une fois les soixante-dix ans passés, veulent continuer à profiter de la poule aux oeufs d’or – des millions d’euros, parfois même davantage – que représentent les droits patrimoniaux.
Il y a pourtant une différence énorme entre le droit patrimonial et le droit moral. Au bout de soixante-dix ans après la mort de l’auteur, on ne peut pas faire n’importe quoi des oeuvres. Le droit moral subsiste dans notre droit français : par exemple, une collectivité qui achèterait une statue – et ne voyez dans cet exemple aucune malice (Sourires) – ne peut pas décider de repeindre une sculpture en bleu ou en rouge au motif que cela lui plairait. Dans un tel cas, les ayants droit peuvent attaquer en justice et défendre l’oeuvre afin que celle-ci ne soit ni défigurée, ni attaquée, ni injuriée ou critiquée. En revanche, le droit patrimonial s’arrête au terme des soixante-dix ans.
Il n’existe aujourd’hui aucune façon de protéger le domaine commun. Ma collègue Anne-Yvonne Le Dain parlait tout à l’heure des commons. Oui, il existe dans notre pays des biens communs : l’eau, l’air ou les oeuvres du domaine public, qui doivent être à la disposition de tous et non faire l’objet d’une appropriation par quelques-uns qui veulent en profiter au-delà des soixante-dix ans – ce qui, reconnaissons-le, est déjà une durée très longue.
Les droits d’auteur ont été créés pour que l’auteur vive de son travail. Or en l’espèce, on parle de soixante-dix ans après sa mort. Ce sont donc les arrière-petits-enfants qui en bénéficient – quand ce ne sont pas les petites-filles de la gouvernante, comme dans le cas du Boléro, puisque les héritiers de Ravel ne sont pas ses descendants directs ; cette histoire fait polémique et concerne des dizaines de millions d’euros chaque année.
Je comprends que l’on s’accroche à de tels bénéfices mais, à un moment donné, il faut savoir protéger nos communs, protéger le domaine public, ce qui nous permettra de créer ensuite de la richesse, de nouvelles oeuvres, de nouvelles pièces de théâtre, de nouvelles bandes dessinées, de nouveaux opéras-comiques. C’est cela la richesse du domaine public ; il faut le préserver. Cela passe par sa définition, qui figurait du reste dans la première version de votre projet de loi, madame la secrétaire d’État, version que je soutiens amplement et je crois ne pas être la seule dans cet hémicycle.