En ce début d'année, tous mes voeux vous accompagnent, et je nous souhaite, ainsi qu'à la communauté internationale, de croître en sagesse…
Au nombre des exécutions qui ont eu lieu en début d'année en Arabie saoudite, celle de Nimr Baqer Al-Nimr a déclenché de vives réactions des populations chiites et l'attaque de l'ambassade saoudienne à Téhéran. Comme vous, je me suis interrogé sur les raisons qui ont poussé le gouvernement de Riyad à procéder ainsi. Il faut replacer ces exécutions dans un cadre global : auparavant, l'Arabie saoudite avait pris une initiative en direction des États sunnites avec la constitution d'une coalition, et une réunion intéressante a été organisée à Riyad, rassemblant l'opposition syrienne modérée.
Si, officiellement, les autorités iraniennes ont essayé d'atténuer la pression, c'est que choisir l'affrontement direct favoriserait, lors des élections de février prochain, les tenants de la ligne dure ; ce n'est pas celle du Président Hassan Rohani, que nous attendons à Paris à la fin du mois. D'autre part, si les négociations relatives au programme nucléaire iranien sont venues à leur terme, le jour de la levée des sanctions – implementation day – n'est pas encore fixé. Il faut pour cela que, sur le site de Fordow, le nombre de centrifugeuses ait bien été réduit, que le réacteur d'Arak ait été modifié et que l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) ait donné son feu vert ; on n'en est pas encore là.
L'Arabie saoudite et l'Iran entreront-ils dans une guerre frontale ? Je ne le pense pas. Mais ils sont déjà en opposition, par procuration, au Liban, au Yémen, en Syrie et en Irak. La diplomatie travaille à la désescalade. Je ne saurais dire si les exécutions auront des répercussions sur les élections à venir en Iran, mais je sais de manière certaine que cet événement complique la négociation prévue pour s'engager en Syrie.
Même si l'action militaire est utile, on comprend aisément que le conflit en Syrie ne prendra jamais fin par le seul usage des armes. Nous sommes tous convaincus que la solution ne peut être que politique ; il faut donc privilégier la négociation.
Elle a connu plusieurs stades. Le premier a été la résolution adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies le 18 décembre dernier. Ce jour-là, le journal Le Monde titrait : « Accord décisif sur un plan de paix en Syrie ». En réalité, l'accord décisif avait été trouvé lors de la réunion de Vienne . Les États-Unis, qui assuraient en décembre la présidence tournante du Conseil de sécurité, tenaient à ce qu'une résolution sur la Syrie soit adoptée à ce moment. Elle a finalement été adoptée à l'unanimité, mais je me suis permis de faire observer qu'elle ne dit rien du sort qui serait réservé à Bachar al-Assad dans la transition politique.
La résolution prévoit que les négociations devant mener à la paix en Syrie commencent en janvier 2016. Chacun partait dans un bon esprit lorsque, hélas, les exécutions en Arabie saoudite ont mis le monde chiite en ébullition. J'ai évoqué la situation avec M. Staffan de Mistura, représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour la Syrie, qui était à Paris hier. Il considère que la négociation doit s'engager ; que la réunion de Riyad a été bonne ; que M. Riyad Hijab, désigné négociateur en chef par l'opposition syrienne modérée, est un homme à l'esprit aiguisé, qui connaît le régime puisqu'il fut le Premier ministre de Bachar al-Assad pendant un trimestre.
M. Hijab, qui est favorable à une Syrie démocratique – « non sectaire », selon les termes qu'il emploie – veut négocier, mais il souligne que pour cela deux conditions doivent être réunies, et je ne peux que lui donner raison. La première est que l'on traite expressément de ce que sera le futur gouvernement ; la seconde est que si la négociation commence à une table où sont assis les Russes, il est inconcevable que, dans le même temps, la Russie continue de bombarder la population, que l'on affame par ailleurs. M. Hijab ajoute que si les bombardements continuent, il n'y aura bientôt plus d'opposition modérée en Syrie, mais seulement Bachar al-Assad face à Daech, ce qui fera l'affaire de l'un comme de l'autre, chacun ayant besoin d'un repoussoir. Et, poursuit-il « nous ne sommes pas parfaits, mais nous sommes les seuls ». Enfin, M. Hijab estime que la moitié de la population syrienne vit désormais hors des frontières de la Syrie, ce pourquoi la diaspora devra pouvoir participer aux élections.
Nous allons travailler, avant le début des négociations, à une initiative d'inspiration humanitaire, sans laquelle soit l'opposition syrienne modérée refusera de siéger le 25 janvier, soit les négociations prendront fin après dix jours comme ce fut le cas lors de la conférence « Genève 2 », et ce n'est pas la bonne solution. M. de Mistura partage cet avis. Si je ne suis pas optimiste, c'est que la Syrie est le théâtre d'une guerre par procuration ; le fait que les adversaires principaux soient de plus en plus hostiles et qu'ils attendent le changement de présidence américaine ne favorisera pas les négociations devant mener à la paix.
Malheureusement, les causes extérieures du terrorisme demeureront au cours de l'année qui commence. Nous ferons tout pour favoriser la désescalade, mais la lucidité commande de dire que les éléments concrets d'une solution ne sont pas encore réunis. La diplomatie est faite pour rapprocher les points de vue et je constate, une nouvelle fois, une grande « demande de France » de la part des Saoudiens et des Iraniens. Le président Rohani sera à Paris fin janvier, je vous l'ai dit, et je me rendrai en Arabie saoudite la semaine prochaine.. Nous voulons la paix et la sécurité ; nous allons donc nous efforcer, en notre nom et en notre qualité de membre du Conseil de sécurité, de réduire les tensions mais, objectivement, ce sera difficile.