Nous avons constitué un groupe de travail réunissant l'ensemble des organismes de statistique : l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), l'Observatoire de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), l'Institut national d'études démographiques (INED) ainsi que les ministères de la justice et de l'intérieur afin d'améliorer la connaissance et d'harmoniser les données, conformément aux dispositions du décret du 3 janvier 2013.
Les statistiques dont nous disposons montrent une certaine stabilité, notamment dans les enquêtes portant sur les déclarations de faits de violences réalisées par l'INSEE ; promulguée il y a un peu plus d'un an seulement, la loi ne produit probablement pas encore tous ses effets. En revanche, les campagnes d'information menées par le Gouvernement se traduisent par la multiplication des appels au numéro vert 3919 : leur nombre est passé de 24 596 en 2013 à 38 972 en 2014. L'élargissement de la plage horaire d'appel a, elle aussi, concouru à cette augmentation.
Un bémol doit être placé au sujet des statistiques du ministère de la justice, car elles ne concernent que les agresseurs et jamais les victimes ; le logiciel est ainsi conçu, reflétant peut-être la pensée du ministère, ce qui est cause d'une moindre connaissance statistique des victimes de violences. Le taux de femmes portant plainte en cas de violence dans le couple s'élève à 16 %, soit une légère augmentation. Dans les cas de viol, ce taux est de 10 % seulement, alors que le nombre des condamnations prononcées à ce titre est en diminution, ce qui peut être dû à leur requalification en agression sexuelle. L'enquête de l'INSEE « Cadre de vie et sécurité » (CVS) montre que, depuis 2013, le nombre des déclarations de viols oscille entre 83 000 et 86 000 selon les années et que 821 hommes et douze femmes ont été condamnés pour viol. Le rapport est donc de 1 %, la marge de progrès demeure importante, et j'imagine que c'est pour cela que vous avez demandé à la commission « violences de genre » du HCEfh d'améliorer la définition du viol : nous vous remettrons bientôt notre avis sur ce sujet, ainsi qu'à Mmes Marisol Touraine et Pascale Boistard.
La loi a considérablement amélioré le dispositif de l'ordonnance de protection (OP) en raccourcissant les délais, mais de grandes disparités sont constatées selon les départements. Pour la convocation au débat contradictoire, ce délai est de quinze jours si « monsieur » l'apprend par lettre recommandée ; en Seine-Saint-Denis, l'intéressé est convoqué systématiquement par huissier, et le délai est alors d'une semaine ; enfin la voie administrative est la plus rapide puisque la force publique se rend au domicile de l'individu, mais cette disposition est exceptionnelle. La question des délais demeure une préoccupation, même en Seine-Saint-Denis, du fait du manque de magistrats, qui sont, dans ce département, au nombre de neuf pour les affaires familiales sur un effectif théorique de treize, de sorte que le délai moyen est passé de quatorze à vingt et un jours.
La prolongation de l'ordonnance de protection à six mois reconductibles est une très bonne nouvelle, de même que l'information du procureur au cas où les violences mettraient en cause la sécurité des enfants. Au demeurant, nous savons que, dans ces situations, les enfants sont toujours en danger, puisqu'ils sont covictimes du fait que maman se fait insulter, même si papa retient ses coups devant eux ; et je ne parle pas des violences sexuelles. Il y a donc quelque chose à repenser en la matière.
L'ordonnance de protection vise à parer au danger auquel sont exposées les victimes. Dans ce domaine, la France a progressé : nous sommes passés de la puissance maritale à l'égalité entre partenaires ; le fait d'être mari, partenaire ou compagnon est devenu une circonstance aggravante en cas de meurtre, enfin, la protection par l'éloignement – l'éviction du logement – du conjoint violent constitue une garantie de sécurité. La loi du 4 août 2014 est révolutionnaire – le mot n'est pas trop fort – car elle permet de protéger la femme avant la commission de nouveaux faits de violence ; en tant que législateur, vous avez eu là un coup de génie. Nous n'en avons pas fini avec la question de la dangerosité, dont le paroxysme est la mort de la femme ou des enfants, nombreux à être victimes de la violence dans le couple : plus d'enfants que d'hommes sont tués dans ce contexte.
L'ordonnance de protection constitue donc un outil très complet, mais insuffisamment utilisé et encore mal compris. Lors de l'élaboration de la loi, vous avez compris qu'une femme qui est sous l'emprise de son bourreau, qui a peur de lui, a encore plus peur de porter plainte, car elle redoute les conséquences ; vous l'avez d'ailleurs dit dans votre communiqué de presse relatif au procès de Mme Sauvage.
L'ordonnance de protection permet de demander une protection avant la plainte, mais, trop souvent, les magistrats exigent un dépôt de plainte comme élément de vraisemblance du danger. Certes, le magistrat n'est pas Madame Soleil, et a besoin de preuves ; c'est pourquoi la MIPROF a travaillé avec les ordres des médecins et des sages-femmes à l'amélioration des certificats médicaux. Nous avons aussi fait en sorte que tout travailleur social ou toute personne habilitée rencontrant la femme victime de violences puisse établir une attestation permettant au juge de considérer, en l'absence de preuves proprement dites, qu'il existe – je cite la loi de 2010 – « des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblable la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants, sont exposés ». Cette rédaction est excellente, mais on continue malheureusement d'exiger des preuves de la vraisemblance, ce qui est absurde : ce qui importe ce sont les éléments de la vraisemblance, ce qui est très différent.