Intervention de Ernestine Ronai

Réunion du 12 janvier 2016 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Ernestine Ronai, coordinatrice nationale de la lutte contre les violences faites aux femmes au sein de la MIPROF, coprésidente de la commission « Violences de genre » du HCEfh, et responsable de l'Observatoire des violences de Seine-Saint-Denis :

Plus que la condamnation, ce qui importe est l'interdiction de contact entre « monsieur » et « madame », qui peut relever du droit pénal lorsque la victime a porté plainte, ou du droit civil par le truchement de l'ordonnance de protection. En Seine-Saint-Denis, un tiers des téléphones d'alerte sont accordés à l'occasion du prononcé d'une ordonnance de protection lorsque « monsieur » va sortir de prison alors qu'il est susceptible de récidives violentes. Il s'agit là d'une procédure de protection devant le danger maximum ; la faiblesse du nombre de téléphones accordés n'est pas préoccupante pour le moment, car la culture du danger et de son repérage s'acquiert petit à petit. Le parquetier, le juge aux affaires familiales, les juges d'application des peines, les services et les associations peuvent repérer le « grand dangereux ». En Seine-Saint-Denis, nous avons commencé avec vingt téléphones, nous en sommes à quarante aujourd'hui ; à Paris, ce nombre est passé de dix à vingt.

Toutes les femmes victimes de violences sont en danger, et plus je progresse dans mes travaux – je m'occupe depuis plus de treize ans de la Seine-Saint-Denis – plus je prends conscience de la question du danger et de la difficulté de son évaluation. On aurait tort de penser qu'une gifle, un coup asséné sous l'emprise de l'alcool sont des gestes sans gravité ; la connaissance de la situation de danger permet d'adopter une politique pénale adaptée et, dans le domaine du droit civil, la politique de protection est importante.

La MIPROF a reçu des ministres la mission de développer une culture commune dans le cadre de la formation de l'ensemble des professionnels au contact de femmes victimes de violences. Cinq kits de formation ont été conçus.

Le premier, « Anna », conçu au départ pour les médecins, est aujourd'hui utilisé par tous, et traite du mécanisme de la violence : emprise, repérage par le questionnement systématique, prise en charge et orientation. Le deuxième, « Élisa », plus particulièrement destiné aux sages-femmes, concerne l'impact des violences sexuelles sur les femmes, ainsi que, dans un deuxième temps, celui du questionnement systématique des victimes : « la question m'a été posée, il a été possible de parler des violences subies dans l'enfance, et du coup, dit la dame, ma vie a été changée ». Le kit « Tom et Léna », consacré aux violences exercées sur les enfants, est axé sur la prise de conscience du mal que la violence fait aux enfants et du secours que peuvent leur apporter professionnels qui aident la mère à se protéger. Le quatrième kit, « Protection sur ordonnance », qui s'adresse aux avocats et aux juristes, informe sur l'ordonnance de protection, sur l'évaluation du danger auquel sont exposées les victimes ainsi que sur leur accompagnement. Le dernier, « Harcèlement sexiste et sexuel », élaboré avec le concours du ministère de la défense, est destiné aux militaires du rang. Tous ces kits se composent d'un court-métrage et d'un livret destiné à l'ensemble des professionnels : gendarmes, magistrats, avocats, médecin, sages-femmes, etc.

Un groupe de travail a été installé, dont l'objet est la formation des professionnels au contact des femmes en situation de handicap : la situation est complexe, car il n'existe aujourd'hui aucune formation ni action de sensibilisation à la question du handicap dans ce contexte. Une enquête est en cours en Seine-Saint-Denis sur le viol et les agressions sexuelles : 10 % de femmes et d'hommes handicapés ont été victimes de viols, les hommes concernés ayant été violés par d'autres hommes.

Vous m'avez interrogée au sujet de l'appréciation que je porte sur l'action du Gouvernement et en particulier les priorités définies pour 2016 en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. La campagne contre le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports a été une grande réussite. Bien diffusée, elle a fait comprendre ce qu'est une agression sexuelle : la main aux fesses, la main aux seins, l'homme qui se frotte… Elle a eu un retentissement certain sur les femmes elles-mêmes, leur permettant de prendre conscience des agressions dont elles peuvent être victimes.

Parmi les cinq priorités fixées pour 2016 figure aussi l'amélioration de la prise en charge des victimes par le système de santé. La ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes a demandé aux agences régionales de santé (ARS) de prévoir la désignation d'un référent violence dans les services d'urgences ; nous allons préparer un kit d'information à l'intention des urgentistes ainsi que pour ces référents. Il s'agit d'une très bonne mesure et le procès de Jacqueline Sauvage a montré que si ces personnels avaient été formés, celle-ci aurait pu être aidée avant le drame.

Une autre piste d'amélioration concerne les UMJ, avec la question du recours en amont du dépôt de plainte, c'est-à-dire sans réquisition, particulièrement pour les violences sexuelles : « Je suis victime de viol, je suis à bout, je me rends aux urgences médico-judiciaires. » Tous les prélèvements sont réalisés et les preuves conservées ; pendant trois ans, la victime peut porter plainte. Cela constituerait une réelle amélioration de l'administration de la preuve en tant qu'élément de témoignage, car si l'on retrouve sur « madame » l'ADN de « monsieur », la réalité du rapport sexuel et l'identité du violeur seront indiscutables.

Le cas de Mme Sauvage montre que les violences sexuelles conjugales constituent un psychotrauma extrême, aboutissant au meurtre : la gratuité des soins de psychologie ainsi que le développement des consultations post-psychotrauma constitueraient un progrès considérable. Cela a certes un coût, mais qui sera toujours inférieur aux 3,5 milliards d'euros que coûte l'inaction.

Il faut améliorer la prise en compte des conséquences de la violence sur les enfants, en généralisant la mesure d'accompagnement protégé, actuellement expérimentée en Seine-Saint-Denis, bientôt à Paris et, je l'espère, dans d'autres départements par la suite. La loi du 9 juillet 2010 prévoyait déjà cette mesure : une association, dite « tierce personne morale qualifiée », accompagne les enfants à partir du lieu de résidence de la mère vers le lieu de visite du père afin d'éviter que « monsieur » agresse à nouveau « madame ». Efficace, ce dispositif aide les juges aux affaires familiales à prendre en compte la violence ainsi que le fait que les enfants sont covictimes de celle-ci. Je souhaite que ce terme de « covictimes » prenne la place du mot « témoins », qui laisse entendre que les enfants seraient des spectateurs impassibles : si la maman est victime, les enfants le sont aussi. Il y a un agresseur, mais plusieurs victimes.

À l'occasion de décisions de divorce ou de séparation, il faut encourager les femmes victimes de violences conjugales à user de la possibilité de demander l'exercice exclusif de l'autorité parentale. Ce droit est d'autant plus légitime lorsqu'il a été interdit à « monsieur » d'entrer en contact avec « madame » ; dans ce contexte, il est absurde qu'un père placé sous le coup de cette interdiction doive être consulté afin d'autoriser une colonie de vacances pour les enfants. Une évolution législative serait bienvenue sur ce point.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion