La présentation du rapport présenté au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité du CESE a eu lieu au mois de novembre 2014 afin de la faire coïncider avec le 25 novembre, journée internationale de l'élimination de la violence contre les femmes. C'était la première fois que le CESE se saisissait de ce sujet, il importait de mettre en lumière l'ampleur du phénomène, autant en termes de typologie de violences qu'en termes quantitatifs. Nos sources statistiques proviennent de la MIPROF, un chiffre nous a cependant frappés puisque 83 %, à l'époque – 86 % aujourd'hui – des femmes violées connaissent leur agresseur ; l'image du violeur inconnu fait ainsi partie des idées reçues qu'il convient de dissiper.
Nous avons souhaité envisager les violences dans tous leurs aspects : les violences conjugales et les viols sont régulièrement évoqués ainsi que, dans une moindre mesure, la prostitution, mais pas les autres violences faites aux femmes. La connaissance du harcèlement dans l'espace public a progressé avec l'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF), réalisée en 2000 et qui était une première ; elle a aussi démontré la réalité du viol conjugal. Par ailleurs, une vidéo réalisée par une femme belge permettait d'entendre tous les propos déplacés susceptibles d'être adressés quotidiennement à une femme dans la banalité d'un jour ordinaire. Ces propos sont répétitifs et adressés, pour 20 % à 25 %, à de jeunes femmes, voire à des adolescentes ou préadolescentes ; ces situations de harcèlement dans les transports en commun perturbent durablement les plus jeunes d'entre elles. À cet égard, la campagne réalisée en France actuellement présente le plus grand intérêt.
L'évidence nous est apparue que les violences nous concernent tous, car chacun connaît une femme victime de violences, quand il ne s'agit pas de soi-même : une des clés du problème est la prise de conscience d'être ou d'avoir été placé dans une telle situation. La banalisation du sexisme concourt largement à cette méconnaissance ; même les femmes tendent à considérer qu'il s'agit là d'une fatalité ordinaire à laquelle elles sont confrontées depuis l'enfance, dès l'école.
En termes de typologie, les mutilations sexuelles féminines ne sont pas à négliger, bien que la France ait été précurseur : la loi du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes réprime en effet ces pratiques. La polygamie, les mariages forcés, l'esclavage constituent autant de formes de violences inacceptables. Le plus grand silence règne au sujet de l'esclavage alors qu'il est bien plus répandu en France qu'on ne l'imagine, les chiffres publiés sont très en dessous de la réalité. Ce phénomène peut concerner tous les milieux sociaux, il ne se cantonne pas aux ambassades : les cas sont nombreux à La Courneuve, par exemple.
Nous avons encore étudié les violences exercées dans le cadre du travail. Il y a eu des avancées dans ce domaine sur le plan législatif, et avec la loi du 4 août 2014 concernant les violences. Les lois existent, mais la question qui demeure est celle de leur application, avec des carences dans la mise en oeuvre de certaines dispositions. Nous avons par ailleurs souligné la nécessité de protéger les enfants et soulevé la question de l'ordonnance de protection.
Les travaux que nous avons menés au sujet du harcèlement à l'école nous ont conduits à nous pencher sur la cyberviolence, au sujet de laquelle nous avons interrogé M. Éric Debarbieux, délégué ministériel chargé de la prévention de la lutte contre les violences en milieu scolaire, qui a indiqué qu'à l'époque, 18 % des jeunes étaient victimes de cette forme de violence. La cyberviolence ne s'exerce pas par le seul biais des réseaux sociaux : le SMS constitue également un vecteur important. Elle concerne aussi les milieux professionnels et ne peut qu'être appelée à connaître une grande amplification. S'agissant des jeunes, l'information des parents constitue un enjeu majeur, car beaucoup d'entre eux ignorent que leurs enfants sont susceptibles de faire l'objet de cyberviolences.
Nous sommes parvenus à la conclusion qu'il est indispensable que l'ensemble de la société se saisisse du sujet, que les violences doivent êtres sorties de la sphère privée ou individuelle, qu'il s'agisse des violences dans la rue, des violences conjugales, exercées au travail ou dans la sphère familiale. Il faut mettre un terme à la banalisation ; nombre d'entre vous connaissent le discours adressé aux femmes dans les années soixante, érigeant en modèle l'image de la femme soumise et gentille, qui, même fatiguée par sa journée, devait malgré tout être « sexy » et disponible pour son mari et ses enfants. Pour beaucoup, ce schéma est toujours d'actualité : la question de la violence est celle de la domination du mâle sur la femelle qui remonte à la nuit des temps. Ces conceptions ont 250 000 ans d'âge et reposent en grande partie sur une angoisse masculine archaïque, puisque seule la femme dispose du pouvoir d'enfanter, tandis que l'homme ne peut jamais être sûr d'être le père. Ce doute relatif à la paternité a conduit à l'adoption de diverses stratégies de claustration de la femme.
Bien des progrès demeurent à réaliser dans le domaine de la protection infantile, un enfant voyant sa mère maltraitée est bien plus traumatisé que s'il est lui-même victime de violences. Que serait une société qui ne saurait pas protéger ses enfants ? C'est là une priorité : il s'agit de prévention, car on assiste à un phénomène de continuum, les femmes qui ont été victimes dans leur enfance ou leur adolescence reproduisent souvent ce schéma et, à l'âge adulte, sont victimes de violences dans leur couple. C'est pour cela que la prise en charge psychologique est primordiale, et, quel que soit le type de violence ou le type de victime, la stratégie de l'agresseur demeure la même, il s'agit d'instaurer une situation d'emprise et de domination.
Si besoin en était, cela démontre le rôle éminent du triptyque : sensibiliser, informer et former. Tout le monde doit être informé, particulièrement les professionnels, de ce que sont les violences et des comportements qu'elles induisent chez les femmes qui adoptent – phénomène observable partout dans le monde – des stratégies d'évitement : ne pas sortir au-delà d'une certaine heure, ne pas emprunter les transports en commun, etc.
Il faut rendre aux victimes leur place de victime. À cet égard, la formation des divers intervenants est capitale : cessons de penser que, lorsqu'une femme se plaint de violences, elle agit dans le seul but d'extorquer de l'argent à son mari ! Les affabulatrices sont très peu nombreuses : moins de 1 %.
La situation dans les territoires ultramarins est alarmante. Les violences y sont beaucoup plus graves qu'en métropole, et sont souvent exacerbées par l'insularité, la précarité économique et l'alcoolisme. Par ailleurs, tout est fait pour que les filles ne fréquentent pas longtemps l'école. Ces territoires ont manifesté le plus grand intérêt pour notre étude tant les manques y sont nombreux : la Guyane n'avait plus de délégué aux droits des femmes depuis des années, et ceux qui sont en poste ne disposent que de très faibles moyens. Le CESE va conduire une étude sur les violences faites aux femmes dans les territoires ultramarins, pour laquelle il espère obtenir une saisine gouvernementale ; il est actuellement en négociation avec le secrétariat d'État chargé des Droits des femmes et le ministère des Outre-mer à ce sujet. Cette étude sera menée conjointement par la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité et la Délégation à l'outre-mer du CESE ; une des rapporteures pressenties est Sarah Mouhoussoune, originaire de Mayotte.