L'affaire Jacqueline Sauvage a démontré que les magistrats ignoraient les mécanismes de la violence et méconnaissaient le psychotrauma, de même qu'ils négligent les phénomènes d'emprise. Ma première proposition est de rendre obligatoire la formation de l'ensemble des magistrats sur les violences faites aux femmes : cela existe en formation initiale, mais pas en formation continue. Celle-ci doit devenir systématique au moins pour les juges aux affaires familiales, les juges des enfants, les juges correctionnels et les juges d'application des peines. Les outils existent : la MIPROF a publié des fiches « réflexes » à cet effet.
Les questions qui ont été posées à Mme Sauvage sont caractéristiques de cette situation : « pourquoi n'êtes-vous pas partie ? », « pourquoi n'avez-vous pas porté plainte ? » Jacqueline Sauvage avait fait une tentative de suicide – ce qui est caractéristique du psychotrauma – mais cela n'a pas été porté au dossier. La question de la formation des médecins est aussi posée, car l'intéressée s'était rendue au service des urgences à quatre reprises : un dispositif permettant de regrouper ces passages aurait permis de détecter une situation critique, ce qui est le minimum exigible.
Par ailleurs, une voisine avait déposé une plainte qui a fait l'objet d'un classement sans suite, ce qui conforte les propos de Monique Orphé au sujet des campagnes de sensibilisation. Une répression plus ferme encouragera les femmes aux prises avec la peur à engager des actions en justice. Tout le monde a dit que le mari de Jacqueline Sauvage était un monstre : la soeur l'a dit ; la fille, violée, a fugué, a été rattrapée par les gendarmes, a fait une déposition pour viol, le père est arrivé en criant – effrayant tout le monde, car la violence a pour effet de tétaniser – de sorte que la fille s'est rendue dans les toilettes de la gendarmerie pour y déchirer sa déposition et qu'il n'y a pas eu de suites. Les étapes de cette histoire ont été autant d'occasions manquées de secourir cette femme, et dans l'état du droit actuel, aux assises, Jacqueline Sauvage aurait pu être condamnée à un an de prison avec sursis et sortir libre.
Elle aurait même pu comparaître libre, car, en fin de compte, elle a tué le seul homme qu'elle aura jamais tué de sa vie, à savoir son tortionnaire. On constate que, la problématique de la légitime défense stricto sensu étant écartée, la justice, comme souvent, n'a pas fonctionné, et n'a fait, au contraire, qu'enfoncer cette femme.
En Seine-Saint-Denis, depuis 2008, le procureur Patrick Poiret et moi-même appelions féminicide l'assassinat d'une femme. Je milite pour que, dans le vocabulaire judiciaire, le terme féminicide soit utilisé pour le meurtre d'une femme, comme celui d'homicide lorsqu'il s'agit d'un homme.
Pour autant, je ne pense pas que le fait que la victime du meurtre soit une femme doive constituer une circonstance aggravante, car toute forme de violence, qu'elle soit fatale ou non, qu'elle porte sur une femme ou sur un homme, constitue un acte d'une égale gravité. Le féminicide a été considéré comme circonstance aggravante au Mexique, où près de 4 000 femmes ont trouvé la mort dans les maquiladoras. Je ne suis pas partisane d'aller jusque-là en France : nous avons déjà des hommes qui se juchent sur des grues pour faire entendre leur cause…
Je plaide la prudence en faveur de la présomption de légitime défense ou l'amélioration des conditions de la légitime défense, car le climat politique actuel me paraît peu propice.
Avec Élisabeth Moiron-Braud, nous avons consulté le blog de Catherine Le Magueresse, ancienne présidente de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), et qui est une remarquable juriste ; je ne saurais trop vous recommander de l'entendre au sujet du droit international.