L'instabilité des dispositifs concernant les aides, tant fiscales que directes, pose problème aux industriels comme aux réseaux de vente. Cela étant, il faut être conscient du fait que le système de bonus n'est pas voué à durer éternellement. Il convient aussi de faire des projections de marché pour les années à venir et de préparer l'arrivée sur le marché de l'occasion des premiers véhicules électriques, car le marché automobile, pour perdurer, a besoin d'un marché de l'occasion digne de ce nom.
À la fin de l'année 2015, nous avions immatriculé 22 187 véhicules particuliers et utilitaires légers électriques à batterie, ce qui représente certes une progression de 60 %, mais seulement 1 % du marché. En Norvège, le véhicule électrique représente plus de 17 % du marché, et ce pays poursuit ses aides à l'achat : ayant atteint l'enveloppe qu'il s'était fixée, il l'a multipliée par deux, si bien que le marché norvégien va probablement continuer à se développer au même rythme. Il serait idéal que le marché français atteigne un tel niveau, en incluant dans ce pourcentage les véhicules à batterie et hybrides rechargeables. Nous n'en sommes pas là, mais notre association fait tout son possible pour y parvenir.
Quant aux bonus, ils me paraissent nécessaires, dans cette phase de maturation du marché, pour garantir l'équation économique de la mobilité électrique, en attendant que le coût des composants de base baisse.
Cette remarque me conduit à évoquer la performance des batteries, qui occupent le premier poste de coût d'un véhicule à traction électrique. Une batterie valant aujourd'hui dans les 10 000 euros, l'aide de l'État, qui s'élève à 6 300 euros, couvre un peu plus de 50 % de son coût. Celui-ci, selon les projections des constructeurs, devrait diminuer de moitié d'ici à 2020, et les performances des batteries augmenter. Mais les constructeurs se trouvent face à un dilemme : soit ils maintiennent le niveau de performance actuel, et le coût des batteries pourra être divisé par deux ; soit ils augmentent cette performance, et le coût diminuera dans une moindre mesure. Toutes les études que nous avons menées démontrent que l'acheteur fixe à 200 ou 250 kilomètres le seuil d'autonomie au-delà duquel il juge intéressant d'acquérir de tels véhicules. Or, l'autonomie est actuellement comprise entre 120 et 150 kilomètres, et Nissan et Renault annoncent que leur prochaine génération de véhicules atteindra les 200 kilomètres pour un coût légèrement supérieur au coût actuel puisque les gains dus à la réduction du coût des batteries n'ont pas encore été enregistrés. Le bonus est donc nécessaire pour garantir une bonne équation économique, mais le sera moins dans les années à venir. On peut donc programmer la fin du dispositif, mais il convient néanmoins de garantir la stabilité de la mesure.
Les différences de bonus entre véhicules hybrides rechargeables et véhicules électriques peut se justifier, d'une part, par la part de marché que cela représente – 3 % pour les véhicules hybrides et 1 % pour les véhicules électriques – et, d'autre part, par les bénéfices environnementaux des deux dispositifs. L'hybride rechargeable n'a été introduit en France qu'en 2012-2013, le véhicule électrique l'a été en 2010. Quant au parc roulant des hybrides rechargeables, il est de l'ordre de 8 000 véhicules, quand celui des véhicules électriques à batterie – utilitaires légers et particuliers – est de l'ordre de 85 000, y compris les 10 000 véhicules du parc roulant de première génération. Du fait de sa fonctionnalité d'usage, l'hybride rechargeable devrait atteindre les volumes de l'hybride classique.
Introduit en juin 2015, le super-bonus a très bien fonctionné, puisqu'il a entraîné un changement radical dans le comportement des acteurs. Alors que, avant cette date, c'étaient principalement des entreprises qui achetaient des véhicules électriques, le super-bonus, davantage ciblé sur les particuliers, a permis d'inverser la tendance, de sorte qu'à la fin de l'année 2015 on comptait pratiquement autant de voitures électriques achetées par des particuliers que par des entreprises. Ce super bonus est très bénéfique à l'environnement, puisque les vieux véhicules diesel sont mis au rebut et remplacés par des véhicules n'émettant ni gaz polluants, ni CO2 ni particules issues des freins et des pneus.
Notre association a été très surprise de la publication de l'étude ACV de l'ADEME, avec laquelle nous avons longuement dialogué à ce sujet. Je crois que cette étude a dépassé la portée du message sur lequel l'Agence souhaitait communiquer. L'ADEME étant très stricte d'un point de vue scientifique, elle a appliqué les mesures réglementaires de calcul d'ACV, qui ne prennent pas en compte tous les bénéfices annexes du véhicule électrique, tels que la durée de vie réelle des batteries. Les principales données dont nous disposons, qui nous proviennent du plus grand fournisseur de voitures électriques, le groupe Nissan, sont assez encourageantes : les batteries au lithium ont très peu perdu en performance, ce qui laisse augurer de durées de vie de l'ordre de dix ans. De plus, une batterie que l'on extrait d'un véhicule au terme de ces dix ans peut encore servir pendant cinq ans dans des applications stationnaires. Une batterie a donc une durée de vie totale de quinze ans, ce qui diminue sensiblement son impact environnemental et donc la pertinence de l'étude de l'ADEME, qui s'en tient à dix ans de durée de vie.
D'autre part, l'étude ACV ne prend pas en compte les bénéfices liés à la qualité de l'air. Les mesures réglementaires incluent les émissions de CO2, l'eutrophisation et certaines pollutions principalement dues aux batteries. Or, lorsque l'on examine l'étude en détail, on s'aperçoit que l'écart entre un véhicule thermique et un véhicule électrique s'explique par le poids de la batterie. Par conséquent, plus l'on fait baisser ce poids, plus le véhicule électrique devient comparativement intéressant.
Outre la possibilité d'allonger la durée de vie de la batterie, il convient aussi de prendre en compte la faculté de la recycler. On a souvent montré du doigt le carbone et le lithium contenu dans une batterie. Mais si le lithium n'est, aujourd'hui, pratiquement pas recyclé, c'est parce que le nombre de batteries reste insuffisant. Le principal usage de ce matériau est le fait de la verrerie, mais il est tellement dispersé dans le verre qu'il n'est pas recyclable. L'arrivée sur le marché de plus grandes quantités de batteries permettra donc de recycler le lithium pour fabriquer d'autres batteries – mais il faudra encore quinze ans pour qu'on y parvienne. Les autres composants « nobles » et métaux rares de la batterie sont déjà recyclés. Restent le carbone et le graphite, mais il existe des procédés de substitution pour les remplacer et limiter ainsi l'impact environnemental des batteries.
S'agissant des émissions de CO2, l'étude de l'ADEME s'appuie sur des calculs que je qualifierai d'« interprétables »... En essayant de définir à partir de combien de kilomètres la quantité de CO2 émise par un véhicule électrique serait acceptable par rapport à celle émise par le véhicule thermique, l'Agence a dérogé aux règles de l'analyse du cycle de vie, qui ne peut être interrompue en cours de route puisqu'on ne peut dresser de bilan qu'en fin de cycle. Or, au bout de quinze ans, le bilan d'un véhicule électrique est bien plus positif que celui d'un véhicule thermique.
J'en viens à présent à ma vision de l'avenir. J'ai déjà évoqué l'évolution de la performance des batteries, qui va doubler la distance pouvant être parcourue sans recharge par un véhicule électrique, et donc permettre au marché de poursuivre son développement. C'est le signe que la mobilité électrique entre dans les moeurs et va trouver sa juste place. Vous avez affirmé que le véhicule électrique était pertinent en milieu urbain, mais il n'y a pas que là qu'il le soit.