Madame la Présidente, mes chers collègues, je vous remercie de m'avoir confié le sujet, passionnant, de l'assurance chômage européenne, sur lequel j'ai travaillé pendant plus d'un an, tant les fils à dérouler de cette pelote économico-sociale européenne sont nombreux et emmêlés.
Je n'avais pas vraiment cerné toutes les composantes et les enjeux de ce sujet lorsque j'ai accepté cette mission en arrivant dans cette commission, et c'est pourquoi mon travail a été plus long que je ne l'avais envisagé au départ ; mais je suis heureux de pouvoir aujourd'hui vous faire part de ce que j'ai compris du projet – encore très embryonnaire – d'assurance chômage européenne. Alors que nous avons reporté cette réunion, prévue initialement en juillet dernier, le calendrier finalement n'est pas si mauvais, puisque la Cour des comptes appelle à réformer l'assurance-chômage et que va s'engager la renégociation de la convention Unédic.
Bien que faisant l'objet de débats dans les sphères dites initiées, l'assurance chômage européenne est un sujet encore confidentiel, non seulement en Europe mais surtout en France ; j'espère que notre rapport pourra permettre de lancer plus avant le débat sur la question. Le risque est grand, en effet, que nous prenions du retard par rapport à nos partenaires et aux institutions européennes, et que nous devions collectivement faire un choix sur une question à laquelle nous n'aurions pas suffisamment réfléchi au préalable. Nos partenaires n'y croient pas forcément mais creusent le sujet.
Cette question de l'assurance chômage européenne est moins simple qu'il n'y parait, que ce soit du point de vue de son opportunité que de sa faisabilité.
Du point de vue de son opportunité tout d'abord : on pourrait croire qu'il s'agit d'un sujet social, alors qu'il s'agit d'abord et surtout d'un sujet économique. Tout le débat actuel sur l'assurance chômage européenne a en réalité été initié et est encore animé par des économistes, qui réfléchissent sur les moyens de créer un stabilisateur automatique à l'échelle de l'UEM. Ce désir de stabilisation de l'euro est partagé par les principaux responsables politiques européens, pour lesquels il va de pair avec l'objectif de long terme d'intégration de l'Union européenne, et, parfois, avec la nécessité de doter l'Europe d'une capacité budgétaire propre.
C'est en effet en évaluant les différents scénarios possibles de stabilisation de l'euro que les chercheurs se sont aperçus que – on l'a vu face à la crise – le meilleur d'entre eux serait une assurance chômage à l'échelle européenne. Certes, l'argument d'incarnation de l'Europe sociale est aussi avancé par les experts, mais presque en deuxième intention. La note de la DG Trésor de juin 2014, principal « papier » français sur le sujet, fait ainsi dès son introduction la part belle aux questions de solidarité : « la mutualisation au niveau de la zone euro d'une composante de l'assurance chômage permettrait de doter la zone euro d'un instrument de solidarité nouveau, à même de donner une véritable incarnation à l'Europe sociale tout en renforçant la stabilisation de la zone euro dans son ensemble ». Mais, dès la phrase suivante, il est clair que les motivations de cette note sont avant tout liées à la nécessité de stabiliser la zone euro : « la crise des dettes souveraines en zone euro a en effet rappelé que la zone euro manquait d'un instrument budgétaire central capable d'atténuer l'effet des chocs macroéconomiques. La mise en place d'un régime d'assurance chômage commun constituerait une réponse ambitieuse à cette situation, porteuse d'un symbole politique fort pour les citoyens et ayant des effets structurants sur la zone euro ».
Il est toutefois permis de s'interroger sur l'opportunité même de la création de cette assurance chômage dans sa fonction de stabilisation de l'euro. Certes, l'assurance chômage a, dans notre pays, joué un rôle contracyclique fort, mais nous avons un régime beaucoup plus généreux et protecteur que celui de l'ensemble de nos autres partenaires européens. En outre, la fonction contracyclique de l'assurance chômage serait fonction de son niveau ; son efficacité dépendrait de son niveau et donc du financement alloué, lequel reste hypothétique étant donné que les finances publiques des États membres sont loin d'être florissantes. On peut aussi s'interroger sur l'opportunité d'utiliser un outil social – l'assurance chômage – à des fins économiques – la stabilisation de la zone euro –, et ainsi de prendre le risque de déstabiliser un outil qui fonctionne bien – l'assurance chômage – pour un objectif qui pourrait être satisfait par d'autres outils tels que la création d'une capacité budgétaire propre. Enfin, il est permis de s'inquiéter sur les conséquences que la création d'une assurance chômage européenne aurait sur les organisations des systèmes nationaux d'assurance chômage, et notamment, pour notre pays, sur la gestion paritaire du système. On pourrait craindre, peut-être, que se cache là une volonté de l'État de remettre la main sur une assurance chômage actuellement gérée par les partenaires sociaux et qui impacte la dette publique dans le cadre du respect des critères de Maastricht.
Mais je me montre critique alors même que je ne vous ai pas encore exposé les trois systèmes envisagés. Je me fais là l'avocat du diable, alors qu'en définitive, et comme je vous l'exprimerai dans la deuxième partie de mon propos, je suis convaincu au terme de cette année de travail que nous devons et ne pouvons que soutenir le projet d'assurance chômage européenne.
Quels sont donc les modèles envisagés par les économistes ? Le premier – les transferts monétaires directs entre États membres – n'est exposé que pour la forme car il n'est pas assez efficace en matière de stabilisation économique.
Les deux autres sont ceux qui font débat.
Premier d'entre eux : la création d'un fonds assurantiel, de réassurance, qui permettrait de protéger les États membres contre les baisses potentielles de revenu ou les hausses de dépenses du fait des variations de la conjoncture économique. Il s'agirait donc de transferts budgétaires directs et temporaires entre États membres de la zone euro en fonction de leurs situations économiques internes, à partir d'une sorte de caisse centrale de régulation. Selon les simulations disponibles, un fonds de ce type dont le budget serait égal de 0,2 % à 0,5 % du PIB de la zone euro permettrait de réduire les écarts entre PIB et PIB potentiel de 40 % par rapport à la moyenne de ces écarts dans la zone euro.
Un tel fonds a pour inconvénient de ne pas répondre à l'objectif de visibilité de l'Europe sociale ; en outre, très technocratique, il ne rapprocherait pas l'Europe de ses citoyens.
Troisième système – le plus ambitieux mais aussi sans doute le plus difficile à mettre en oeuvre – : la création d'un socle commun d'assurance chômage – qui serait dans chaque État un pourcentage du salaire médian ou du SMIC national – et qui serait complété par l'assurance chômage nationale de chaque État membre. Ce système a ma préférence. Chaque État pourrait garder sa politique, qui irait de pair avec le système européen.
Ce système suscite beaucoup d'interrogations quant à ses conséquences et à sa faisabilité. La première crainte est celle de la création d'une machine technocratique qui viendrait bouleverser des systèmes nationaux pour l'instant globalement efficaces. La deuxième crainte est que les régimes nationaux soient de facto amenés à converger – ce qui ne se ferait sans doute pas au bénéfice, il faut bien le reconnaître, de notre propre système national, de loin le plus favorable aux allocataires – et que la mise en place d'un nouveau système bouleverse, dans chaque pays, les équilibres politiques, les marchés du travail et les modèles de politique sociale. La troisième crainte porte sur la manière d'éviter les effets de transferts budgétaires permanents entre États membres. Comment s'assurer que la mise en place d'une assurance chômage européenne ne se traduise pas par une redistribution massive en Europe au profit des pays les plus en difficulté mais au détriment des pays émetteurs ? Autrement dit du Nord vers le Sud, même si les chercheurs estiment que l'Allemagne en aurait profité au moment de la réunification de son pays.
Ces craintes s'expriment d'autant plus fortement que la faisabilité même du système n'est en rien évidente. Il pose en effet des questions quant à sa gouvernance, tant au niveau national qu'au niveau européen : qui piloterait le projet ? qui définirait les différents paramètres du système ? qui en assurerait l'effectivité et le contrôle ?
Enfin, dernier obstacle et non des moindres : en l'état actuel des traités, la mise en oeuvre de ce type d'assurance n'est pas de la compétence de l'Union européenne, que ce soit pour la zone euro ou pour l'Union à 28. Il ne vous a pas échappé que la renégociation des traités est un sujet sensible…
Qu'en est-il de l'état du débat et des positions des uns et des autres sur la question ? La Commission européenne, longtemps motivée par le sujet lorsque M. László Andor était commissaire, affiche à présent une position plus en retrait ; si les services continuent à travailler pour être prêts, selon leurs propres termes « au cas où », Mme Marianne Thyssen, sans être hostile, semble plus réservée sur le sujet que son prédécesseur.
Le Parlement a, de son côté, confié à la Commission le soin de coordonner un projet pilote, remporté par le CEPS – Centre for European political studies – , qui doit examiner dix-huit scénarios pour déterminer lequel serait le meilleur d'entre eux.
Qu'en est-il des États membres ? Je n'ai malheureusement pas la possibilité de vous faire part d'un panorama exhaustif des opinions des vingt-huit gouvernements des États de l'Union, mais je crois pouvoir vous informer sur le point de vue de notre Gouvernement ainsi que sur celui de notre principal partenaire, l'Allemagne.
Je me suis rendu à Berlin, et, pour dire les choses rapidement, j'ai bien compris que les Allemands ne sont pas favorables à cette idée, qu'ils voient comme une espèce d'entourloupe qui permettrait aux pays les moins vertueux de leur faire assumer le coût de leur propre chômage sans mener de réformes du marché du travail – cela a été dit très clairement, notamment à la Chancellerie. Les Allemands n'en veulent pas, mais travaillent sur le sujet. Ils posent en outre de manière très ferme comme condition préalable et absolue l'assainissement des finances publiques avant la création de tout mécanisme d'assurance chômage européen quel qu'il soit.
Quid des acteurs français ? Il faut souligner au préalable que ce sujet, lancé par la direction du Trésor il y a un an et demi, en juin 2014, n'a fait à l'époque l'objet d'aucun arbitrage interministériel. Ce sujet était surtout avancé par le ministre Moscovici, appelé depuis à d'autres fonctions.
Par ailleurs, l'assurance chômage européenne n'a pas depuis été portée sur la table des négociations avec nos partenaires européens, et, particulièrement, avec l'Allemagne. Les deux contributions franco-allemandes de 2013 et de 2015 n'en font pas mention, et se concentrent sur la question plus large de l'approfondissement de l'UEM.
Il n'y a donc pas de position officielle de la France sur cette question, qui n'apparaît pas explicitement dans le débat et n'a toujours fait l'objet d'aucun arbitrage. C'est un paradoxe, étant donné que nous avons lancé le sujet ! Nous portions le sujet, nous l'avons retiré.
Ceci n'empêche pas les différents ministères d'avoir une opinion sur la question.
Du côté du ministère du Travail, on estime que la création d'une assurance chômage européenne serait un atout à la fois économique – la stabilisation de la zone euro – et politique – la promotion d'un projet fédérateur pour l'Europe sociale. En revanche, on marque un certain nombre de réserves : d'une part, la création d'un tel mécanisme risque d'affecter le système français d'assurance chômage, et sa composante paritaire ; d'autre part, elle impliquerait une nécessaire convergence des principes d'organisation des différents systèmes d'assurance chômage (répartition assurance-solidarité, taux des cotisations, gouvernance,..) ce qui nécessiterait au préalable une discussion intergouvernementale approfondie sur ces paramètres.
Du côté du secrétariat d'État aux affaires européennes, dans la lignée du ministère de tutelle, on estime que la complexité du système ainsi que la nécessité de réviser les traités n'en font pas un objectif prioritaire, et que l'urgence est plutôt d'agir rapidement en renforçant la capacité d'investissement et d'amplifier le plan Juncker.
Du côté de l'Élysée, il n'y a pas de position tranchée non plus sur un sujet qualifié « d'intéressant ».
Qu'en est-il des partenaires sociaux, très concernés dans notre pays ? Autrefois assez hostiles, car craignant pour la pérennité du système paritaire et que la création de cette assurance chômage permette aux États, par des effets de « tours de passe-passe » soit de détourner de l'argent de l'assurance chômage au profit d'autres budgets, soit d'exercer une main mise plus forte sur les sommes dévolues à cette assurance, ceux-ci sont à présents plus volontaires, notamment la CFDT, dont la place en matière de gestion d'assurance chômage est particulièrement importante. Seule la CFTC a manifesté une nette opposition à ce projet, de peur qu'il ne cache un jeu de dupes ; mais peut-être était-ce juste notre interlocuteur qui était très en retrait.
Il semble que les syndicats français soient en contact réguliers avec leurs homologues allemands, lesquels, s'ils sont très mobilisés sur le sujet, sont globalement assez hostiles à la création d'une assurance chômage. Je m'attendais à des positions plus circonspectes.
Du côté du patronat, après avoir été un temps très allant sur la question, le MEDEF semble considérer à présent que c'est un projet de moyen terme qui sera difficile à faire passer au niveau européen et que l'urgence est de se concentrer sur les réformes structurelles de nature à assurer le sauvetage et la pérennité de la zone euro. Le Medef est favorable au projet mais ce n'est pas sa priorité.
La CGPME, de son côté, est réservée, car elle estime que le système français fonctionne bien et qu'il n'y a pas d'intérêt à créer de la complexité supplémentaire avec un niveau européen.
Pourquoi alors suis-je convaincu que le débat sur l'assurance chômage doit être relancé et soutenu au niveau européen et au niveau national ? Nous n'avons pas vraiment le choix, sauf à assister passivement à l'éclatement de la zone euro et peut être même de l'Union européenne dont les économies divergent de plus en plus. Il faut bien trouver des éléments de convergence.
Nous sommes au milieu du gué. Nous avons fait une Europe avec une monnaie unique, mais sans budget commun. Depuis 2008, la crise de la zone euro a mis en lumière son incomplétude, mais les réformes entreprises demeurent partielles car l'Union et surtout la zone euro n'ont toujours pas de capacité budgétaire commune.
La nécessité de doter la zone euro d'un outil de stabilisation est réelle et l'assurance chômage européenne pourrait être un premier pas vers un fédéralisme budgétaire nécessaire.
Deuxièmement, l'Europe a besoin de convergence sociale. Nous ne pouvons pas rester dans la situation actuelle, où l'Europe est perçue comme ultralibérale et uniquement contraignante – certains diraient : « Prussienne ».
Porter l'assurance chômage européenne, c'est aussi se donner les moyens de donner un contenu à l'Europe sociale, au-delà des discours convenus sur la dimension sociale de l'Union ou la nécessité de rendre l'Europe plus sociale. Une assurance chômage européenne ce serait du concret, du palpable pour nos concitoyens ; ce serait un vrai instrument de solidarité européenne.
Cet instrument ne pourrait toutefois voir le jour qu'à moyen terme, car il nécessite deux avancées majeures. D'une part, la construction d'une législation sociale européenne, qui prenne en compte tous les aspects de la vie des travailleurs que ce soit le temps de travail, le salaire minimum, ou encore la lutte contre la fraude au travail détaché : il faut affronter clairement la question de la convergence européenne du droit du travail. C'est le vrai sujet ; il faut se poser clairement la question de la convergence ; on ne peut pas avoir les biens, les capitaux, les travailleurs qui circulent sans harmonisation sociale. D'autre part, et c'est lié, nous ne pouvons plus éluder le débat sur un prélèvement social européen sous la forme d'une cotisation sociale sur les salaires plutôt que d'une contribution fiscale.
Je suis convaincu que nous avons besoin pour sauver le projet européen. Je suis bien conscient évidemment que l'assurance chômage européenne ne verra pas le jour à court terme, pour toutes les raisons que je viens d'évoquer longuement. Ce n'est pas pour cela que nous devons nous abstenir de porter original d'un stabilisateur économico- social.
Mon rapport va d'ailleurs être d'ici quelques semaines suivi par celui de notre collègue Philip Cordery, sur la question du salaire minimum européen. Nous avons le projet de vous soumettre ensuite une proposition de résolution européenne sur les priorités sociales de l'Union, car nous pensons essentiel de faire bouger les lignes en Europe sur ces sujets qui sont cruciaux pour sa survie.