Intervention de Jean-Patrick Gille

Réunion du 19 janvier 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Patrick Gille, rapporteur :

Je constate, qu'au-delà des sensibilités politiques, les interrogations sont convergentes. Je précise que nous avons fait le choix d'un rapport court – pour qu'il soit lu et pédagogique – et vous serez peut-être déçus de ne pas avoir un comparatif détaillé entre les pays. J'ai beaucoup hésité avant de me faire une opinion, et je suis d'accord avec Jacques Myard sur le fait que c'est une question politique : quel modèle veut-on ? Souvent en Europe, parce que c'est compliqué à 28 ou à 19, on invente un objet qui est un peu complexe et technocratique, en pensant que les convergences et les harmonisations se feront – elles ne se font pas nécessairement ou alors dans la douleur. Ce n'est pas la bonne démarche. Il faut inverser les choses et au contraire clairement poser les débats. Je comprends des interventions que je n'ai peut-être pas assez exposé – et peut être pas assez traité dans mon rapport – l'élément suivant. Il faut avoir en tête que, dans la plupart des pays, l'assurance chômage ne fonctionne pas comme chez nous : elle repose en premier lieu sur un socle, qui garantit un minimum, et, ensuite, sur une assurance chômage. En France, c'est l'inverse, le socle – l'ASS – arrive en fin de droits. Il faut avoir ce modèle-là en tête pour comprendre la problématique européenne. C'est pour nous que le socle serait le plus compliqué. Bien sûr, et je rassure à cet égard notre collègue Richard, les partenaires sociaux en France continueraient à gérer l'assurance chômage au niveau national ; les politiques nationales demeureraient, mais il y aurait un socle européen. Ce n'est pas le moment d'inquiéter les partenaires sociaux ! Tout individu bénéficierait d'un socle forfaitaire. Ce socle serait lié au niveau des revenus du pays, et serait déterminé en fonction du salaire minimum de chaque pays ou du salaire médian de chaque pays – et le lien avec la question du salaire minimum européen est évident ; l'assurance nationale viendrait en plus. Rassurez-vous, monsieur Myard, chaque pays continuerait de piloter sa politique d'assurance chômage : nous n'envisageons pas un système d'égalitarisme soviétisant ! Je ne dis pas que les économies doivent converger, mais je constate, au contraire, que – et nous ne l'avions pas prévu – l'euro, que l'on pensait être un instrument de convergence, a en réalité renforcé la divergence entre les économies, entrainant une sorte de division du travail entre les pays de la zone. Cela pose de vrais problèmes, notamment de dumping social et de déplacement des travailleurs. Si on veut maintenir la stabilité de la zone euro, il nous faut des régulateurs. Les États-Unis, pays libéral par excellence, a ce genre de système, avec l'État fédéral qui vient soutenir l'État fédéré en cas de problème. Il n'y a pas, monsieur Myard, la lumière d'un côté, et l'obscurité dogmatique de l'autre.

Comme je vous l'ai dit, les partenaires sociaux sont très ouverts sur ce sujet ; la CFDT notamment est à la pointe du combat sur ce sujet-là. L'enjeu est de construire l'Europe du travail – je n'ose dire des travailleurs. Concernant nos partenaires, on a vu les Allemands extrêmement au point et avec un discours homogène que ce soit au niveau du patronat, des syndicats ou du Gouvernement. Le discours est partout le même, y compris dans le déroulement du raisonnement. Ils ne croient pas à ce projet, mais ont travaillé pour opposer des arguments. Il y a un consensus sur le fait que la France, avant de porter ce sujet, doit d'abord améliorer ses finances publiques et le fonctionnement de son marché du travail, et par ailleurs, sur l'idée que la priorité est dans l'investissement. Il faut comprendre aussi que le sujet n'a pas la même résonnance en Allemagne qu'en France, où les dépenses d'assurance chômage sont deux fois supérieures en valeur absolue aux dépenses outre-Rhin ; la France collecte 32 milliards et en dépense 37, l'Allemagne collecte et dépense 16 milliards, avec une population active plus importante. Cela s'explique par les différences de taux de chômage et d'indemnisation. L'assurance chômage en Allemagne n'a ni le même poids dans l'économie, ni le même rôle qu'en France ; l'approche du sujet et le raisonnement y sont différents.

Pourquoi y croire ? C'est vrai que c'est un vaste sujet… mais je suis convaincu que ce n'est pas une question de croyance mais une question politique. Je pense, comme Européen convaincu, qu'il faut prendre ce sujet au sérieux. Il faut aller à la Commission européenne pour voir leur forte inquiétude sur la fragilité de la zone euro et la nécessité de trouver une réponse pour assurer sa pérennité... Or, l'assurance chômage, avec seulement 0,5 % du PIB – et non 10 % comme pour un vrai budget – aurait un réel effet de stabilisation, et sans la complexité et le caractère technocratique de mécanismes tels que le MES… C'est là tout l'intérêt du dispositif. L'Italie, comme la Slovénie, l'ont compris et sont allantes sur cette question.

Pour répondre à Mme Guittet, l'idée est bien d'avoir un socle européen, forfait par pays indexé sur le salaire minimum ou le salaire médian, et puis un complément qui serait régi par les systèmes nationaux. Je pense – c'est mon idée et non celle du Trésor – que le socle devrait être assis sur une cotisation européenne.

La question de la convergence par le bas, évidemment, inquiète tout le monde ; mais de toute façon la convergence se fera, et nous risquons de la subir. Il vaut mieux l'organiser. Je partage vos interrogations et vos inquiétudes, mais ces processus sont déjà en train de se dérouler. Comment faire une zone économique commune sans un minimum de règles sociales et de droit du travail en commun ? On voit bien cette difficulté avec les problèmes liés aux travailleurs détachés. Nous ne sommes pas par principe contre ces travailleurs, et nous en avons beaucoup en France ; mais les fraudes sont nombreuses et possibles car nous n'avons pas d'harmonisation sociale ! Par rapport à ces problématiques, très prégnantes, et notamment dans notre pays, la seule solution est d'aller vers une harmonisation des règles qui concernent les salariés. Une forme d'assurance chômage dont une partie serait commune à l'ensemble de l'Europe est aussi à cet égard un début de réponse.

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