2015 a été consacrée « année européenne du développement ». Elle a aussi et surtout été marquée par trois grandes réunions internationales qui ont jeté les bases d'une approche renouvelée du développement pour les quinze prochaines années : la conférence d'Addis Abeba sur le financement du développement en juillet, le sommet de l'ONU à New York sur l'agenda du développement post-2015 en septembre et, enfin, la COP21 en décembre à Paris.
En effet, 2015 était la dernière année pour atteindre les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) définis en 2000. Un bilan de ceux-ci a donc été fait à New York en septembre. Celui-ci est globalement satisfaisant, même s'il faut reconnaître que les résultats positifs découlent plus de la croissance économique de l'Inde et de la Chine que de l'action de l'ONU en faveur du développement. Toutefois, si je me réjouis bien sûr de ces résultats, je suis également consciente que les OMD visaient avant tout à lutter contre la pauvreté et à améliorer les conditions sociales et sanitaires des populations des pays en développement. C'est ainsi qu'un enjeu comme la lutte contre le réchauffement climatique et, plus généralement, la protection de l'environnement, n'étaient pas considérés à l'époque comme des objectifs prioritaires de la politique de développement, ni en Europe, ni ailleurs.
La situation a radicalement changé aujourd'hui. Le sommet de New York en septembre dernier a en effet défini 17 objectifs de développement durable (ODD) visant à mettre fin à la pauvreté, à lutter contre les inégalités et l'injustice et, surtout, à faire face au changement climatique tout en contribuant à limiter celui-ci, comme l'a acté la COP21, à 2° par rapport à l'ère préindustrielle.
Toutefois, s'il faut se féliciter de l'ambition portée par ces nouveaux objectifs, encore faut-il les financer. Selon les estimations de la CNUCED, les besoins en investissements des pays en développement pour atteindre les ODD au cours de la période 2015-2030 s'élèvent à 3 900 milliards de dollars, dont 2 500 milliards ne sont pas financés. Or, dans le même temps, la source traditionnelle de financement qu'est l'aide publique au développement est de plus en plus contrainte. Trouver ces financements était l'objet de la conférence d'Addis Abeba à laquelle je me suis personnellement rendue en juillet dernier.
C'est peu dire que les négociations ont été difficiles. La conférence s'est achevée sur la définition d'un « Programme d'action prenant la forme d'une résolution par l'Assemblée générale de l'ONU le 27 juillet dernier. La lecture attentive de celle-ci laisse un goût amer. En effet, si elle est pleine de bonnes intentions et montre une juste compréhension des enjeux, les engagements qu'elle comporte sont généralement vagues et non-contraignants ; le seraient-ils d'ailleurs qu'ils resteraient très en deçà desdits enjeux. En d'autres termes, si les ODD sont ambitieux, on peut légitimement douter que le Programme d'action suffise à dégager les financements nécessaires.
Trois éléments m'ont amené à cette conclusion. Le premier, c'est que les engagements d'aide publique au développement sont très en deçà des besoins des pays en voie développement. Ainsi, les pays développés, dont l'Union européenne, se sont engagés à contribuer à hauteur de 0,7% de leur Revenu national brut pour le financement du développement, dont 0,15 à 0,20% pour les pays les moins avancés (PMA).
Certes, cet objectif est très supérieur à ce que les pays développés consacrent aujourd'hui à l'APD : 0,41 % pour l'Union européenne par exemple en 2014. Toutefois, il n'y a pas lieu de se réjouir. En effet, cet objectif de 0,7 % est ni plus ni moins que l'objectif défini en 2002 à Monterrey pour 2015. Treize plus tard, les promesses faites à l'époque n'ont pas été tenues et voir cet objectif repris à Addis Abeba constitue ni plus ni moins qu'un nouveau report de quinze ans. En outre, rien ne dit que l'objectif sera atteint en 2030 car il n'est pas contraignant.
Or, je tiens à insister sur un point. Aider les pays en voie de développement n'est pas seulement un impératif moral, c'est aussi dans notre intérêt. . Il est ainsi vain d'espérer éradiquer les mouvements terroristes qui ensanglantent l'Afrique et menacent nos soldats et nos ressortissants sans soutenir le développement économique de ces pays qui, plus que la guerre, est la seule réponse viable à long terme contre le terrorisme.
De même, l'Union européenne connaît, depuis plusieurs années, une vague croissante d'immigration. Si les migrants syriens ont monopolisé l'attention en raison des tragiques évènements se déroulant dans leur pays, nombreux sont les migrants poussés jusqu'à nos côtes par la misère qui sévit chez eux. Or, à ces migrants économiques pourraient s'ajouter, si rien n'est fait pour lutter contre le changement climatique, des migrants environnementaux poussés à fuir leurs pays en raison de catastrophes climatiques toujours plus nombreuses.
Enfin, on peut s'interroger sur la pertinence même de cet objectif de 0,7 %. En effet, à Monterrey en 2002, l'objectif de 0,7 % du RNB consacré à l'APD avait été jugé nécessaire pour des OMD centrés sur la lutte contre la pauvreté, le soutien à la scolarisation et l'amélioration des conditions sanitaires. Or, les ODD non seulement reprennent largement les OMD mais, en plus, intègrent dans le développement durable la lutte contre le changement climatique qui, à elle seule, exige des investissements considérables.
En d'autres termes, alors que les objectifs de développement ont été élargis, l'objectif d'APD reste au même niveau. Je crains donc que, le principe d'additionnalité des fonds pour lutter contre le changement climatique n'ayant pas été mentionné, il ne faille à l'avenir faire un choix entre la lutte contre la pauvreté et la lutte contre le changement climatique alors même que la réussite de chacune dépend de celle de l'autre.
En outre et c'est peut-être aussi grave, comme l'a démontré la fédération d'ONG européennes CONCORD dans un rapport publié le 24 novembre dernier, non seulement l'APD européenne n'atteint pas les 0,7 % du RNB mais elle est de plus en plus détournée de son objectif pour couvrir, notamment, le coût des migrations.
Bien sûr, cette reprise à l'identique de l'objectif de 0,7 % du RNB consacré à l'APD en dépit des besoins croissants a été justifié par le recours accru à d'autres modes de financement et, notamment les prêts et le secteur privé. Si les prêts d'institutions publiques comme l'AFD ou la BEI et le secteur privé, d'une manière générale, sont évidemment utiles, ces modes de financement ne peuvent être une excuse pour diminuer la véritable aide au développement, c'est-à-dire un don, d'origine publique et inconditionnel.
Le deuxième point sur lequel je voudrais insister est la taxe sur les transactions financières. Comme vous le savez, dix pays de l'Union européenne, dont la France et l'Allemagne, ont mis en place une coopération renforcée pour créer une TTF européenne. Les discussions se poursuivent difficilement depuis 2013 et, lors du sommet ECOFIN du 8 décembre dernier, aucun accord n'a pu être trouvé malgré quelques progrès sur des points précis. En particulier, les États-membres sont divisés sur le champ d'application de la taxe, son taux et, surtout, son affectation. En outre, à supposer qu'elle soit effectivement créée, le Royaume-Uni a menacé de saisir la Cour de justice s'il apparaissait que cette taxe nuisait à la City.
Face à cette situation, il faut se réjouir que notre pays ait joué le rôle de pionnier et créé une TTF nationale en 2012. Son produit s'élève à environ 900 millions d'euros, affectés désormais pour moitié au financement du développement grâce, notamment, à un amendement de nos collègues Sergio Coronado et Pouria Amirshahi au PLF 2016. Toutefois, le chemin est encore long pour respecter l'objectif fixé par le Président de la République d'une augmentation de 4 milliards d'euros de l'APD française d'ici à 2020.
Enfin, le troisième point sur lequel je voudrais attirer votre attention est la cohérence des politiques de l'Union européenne. Celle-ci est une obligation découlant directement des traités. C'est ainsi qu'elle oblige l'Union à tenir compte des objectifs du développement dans l'ensemble des politiques susceptibles d'affecter les pays en voie de développement. L'objectif d'une telle cohérence est, logiquement, de minimiser les contradictions entre celles-ci et d'accroître les synergies au bénéfice des pays en voie de développement.
Tous les deux ans, un rapport de la Commission européenne évalue l'action de l'Union dans le domaine de la cohérence des politiques au service du développement. Le plus récent est paru en août dernier et, sans surprise, il se félicite des progrès enregistrés depuis 2013, notamment dans la cohérence entre la politique de développement et la politique commerciale.
En ce qui me concerne, je ne partage pas l'autosatisfaction de la Commission. En effet, pour ne prendre qu'un seul exemple, l'accord de libre-échange avec la Colombie, en vigueur depuis 2013, s'est traduit par l'ouverture réciproque de nombreux marchés qui a largement bénéficié aux exportateurs européens. Ainsi, selon les propres statistiques de la Commission, entre 2013 et 2014, les importations européennes de produits agricoles depuis la Colombie ont crû de 10,3 % mais les exportations vers ce pays de 30,1 %. Il est évident que les petites exploitations colombiennes ne peuvent rivaliser avec une agriculture européenne hautement subventionnée et compétitive.
L'ouverture réciproque des marchés agricoles s'est ainsi faite au bénéfice exclusif des grandes exploitations, tant européennes que colombiennes et menace la survie des petites exploitations dont dépendent des millions de personnes. C'est donc très logiquement qu'un mois après la signature de l'accord, une grande grève nationale des agriculteurs a bloqué Bogota, sans susciter aucune réaction de la part de la Commission européenne. De même, l'accord favorise les investissements dans le secteur minier dont les conséquences sur l'environnement et les populations locales sont généralement catastrophiques.
Je rappelle sur ce point que MM. Gaymard et Pueyo se rendront en mai prochain en Colombie dans le cadre de leur mission d'évaluation des accords de libre-échange de l'Union européenne, afin d'analyser sur place les conséquences de cet accord avec la Colombie.
En conclusion, le financement du développement, bien qu'essentiel pour atteindre les objectifs de développement durable, ne me semble pas assuré par le Programme d'action défini à Addis Abeba. Certes, la COP21 a confirmé qu'au moins 100 milliards de dollars par an seront mobilisés, à partir de 2020, pour aider les pays en voie de développement à faire face au défi du changement climatique. Toutefois, encore faut-il que cet engagement soit tenu et, surtout, qu'il ne serve pas de prétexte à une diminution de l'aide publique au développement que les États versent par ailleurs à d'autres fins que la lutte contre le changement climatique.