Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Réunion du 27 janvier 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Monsieur le Premier ministre, monsieur le Président, mes chers collègues, la guerre que livrent à la France des groupes barbares, comme les attentats qui ont à plusieurs reprises frappé notre pays l'an dernier, ont conduit le Président de la République à réunir le Congrès le 16 novembre dernier. Il y a annoncé sa volonté de réviser la Constitution afin d'inscrire l'état d'urgence dans notre loi fondamentale, mais aussi afin de pouvoir sanctionner par la déchéance de la nationalité française des gens qui manifestement ne partagent plus rien avec la France et n'ont plus pour notre pays que de la haine.

Le projet de loi constitutionnelle que vous nous proposez comporte deux articles.

Le premier paraît nécessaire au groupe Union des démocrates et indépendants : il semble en effet indispensable de renforcer la sécurité juridique de l'état d'urgence, ce que permettra sa constitutionnalisation. Nous souhaiterions que le contrôle parlementaire soit également inscrit dans la Constitution : pour la première fois, à l'initiative des deux commissions des Lois de l'Assemblée nationale et du Sénat, un contrôle parlementaire renforcé a en effet été mis en oeuvre. Mais celui-ci dépend aujourd'hui du bon vouloir de la majorité en place, comme de l'exécutif. Il nous semble donc indispensable de le constitutionnaliser : les parlementaires doivent pouvoir contrôler les pouvoirs exceptionnels confiés à l'exécutif.

Notre groupe estime également nécessaire de prévoir une limite de l'état d'urgence dans le temps. Nous pourrions la calquer sur les dispositions qui régissent aujourd'hui les interventions militaires extérieures : cela n'empêcherait en rien la prorogation de l'état d'urgence, mais imposerait une approbation régulière du Parlement. J'avoue m'interroger sur la place du Conseil constitutionnel dans un tel dispositif ; c'est un débat que nous devrons mener. L'état d'urgence ne doit pas devenir permanent ; il ne doit pas durer trop longtemps sans que le Parlement approuve sa prorogation.

Nous souhaitons que la dissolution ne soit pas possible au cours de cette période particulière qui permet au pouvoir exécutif de restreindre certaines libertés, notamment celles de manifester, de communiquer, de se déplacer ou de tenir des réunions : le pouvoir exécutif qui aurait le pouvoir de dissoudre aurait en effet aussi celui de fausser le résultat des élections, et c'est un point qu'il faut garder à l'esprit. Il ne s'agit nullement ici d'un procès d'intention que je ferais au Président de la République actuel ou au Gouvernement actuel ; mais on ne sait pas qui, demain, pourrait avoir la possibilité d'abuser de ses pouvoirs.

Je souligne, monsieur le Premier ministre, que lorsque vous avez reçu les groupes parlementaires, nous avions indiqué que si cette menace s'avérait d'une intensité et d'une ampleur exceptionnelle, sa durée n'était pas limitée : dès lors, il nous semble nécessaire d'adapter aussi notre droit commun, pour ne pas être amenés à vivre de façon permanente sous l'état d'urgence.

Je salue enfin l'engagement du Gouvernement de nous permettre de disposer des projets de textes d'application dès que possible.

Quant à l'article 2 et à la déchéance de nationalité, qui a fait couler beaucoup d'encre, souvent d'ailleurs dans la méconnaissance des textes existants, je veux dire notre attachement au principe selon lequel il n'est fait aucune différence entre les Français. La nouvelle rédaction que propose le Gouvernement, que j'ai écoutée attentivement, nous paraît mieux correspondre à ce que nous souhaitons.

Aujourd'hui, des différences entre citoyens français existent ; elles étaient souvent ignorées, et n'étaient pas dénoncées. Elles ne nous conviennent pas. Nous sommes naturellement favorables à l'individualisation de la peine – il faut punir quelqu'un pour ses actes, et non en fonction de ses origines. Nous sommes surtout opposés à l'attribution de privilèges à tel ou tel criminel selon qu'il possède, ou pas, une autre nationalité.

Nous souhaitons que la déchéance de nationalité soit limitée aux crimes, et n'aille pas au-delà. Nous créerions en quelque sorte un crime contre la nation, comme il existe des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Ce sont des actes qui méritent des sanctions exceptionnelles, certes symboliques, bien sûr complémentaires, mais indispensables.

Nous souhaitons enfin que la déchéance de nationalité, qui serait naturellement la conséquence d'une sanction pénale préalable, relève du pouvoir exécutif. Elle doit à notre sens prendre la forme d'un décret. Il revient au Président de la République et au Gouvernement, représentants légitimes de la nation française, de prendre une telle décision.

Je terminerai en abordant deux points qui ne figurent pas dans ce projet de loi constitutionnelle, mais dans les autres textes que vous nous annoncez.

Tout d'abord, il nous semble nécessaire de nous donner les moyens de prévenir des attentats, même lorsque l'état d'urgence sera levé. L'un de nos amendements au projet de loi constitutionnelle abordera cette question. L'état d'urgence permet en effet de prendre des mesures de police individuelles, temporaires, sous le contrôle du juge administratif, afin d'intervenir en amont pour éviter des attentats. La question se pose de nos possibilités d'action hors de l'état d'urgence : ainsi, l'assignation à résidence ou le placement sous bracelet électronique d'un individu n'est pas possible aujourd'hui. De même, la restriction de la liberté de communiquer d'un individu dont on pense qu'il pourrait s'avérer dangereux pour la nation pourrait également être nécessaire. Or notre Constitution ne nous permet sans doute pas aujourd'hui d'envisager de telles mesures.

Nous souhaitons également la création d'une peine d'indignité nationale, réservée aux délits. Elle concernerait par exemple ceux qui partent rejoindre des groupes terroristes, puisque nous avons voté une loi qui a créé ce délit. Cette peine d'indignité nationale permettrait de restreindre les droits civiques et civils, et de poser des conditions à l'éventuel retour de ces personnes sur le territoire national. Nous y reviendrons.

Le groupe Union des démocrates et indépendants a la volonté de participer à un rassemblement national qui nous semble nécessaire. J'indique ici que l'évolution du texte semble permettre d'aller dans ce sens.

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