Intervention de Roger-Gérard Schwartzenberg

Réunion du 27 janvier 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoger-Gérard Schwartzenberg :

Le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste estime nécessaire la constitutionnalisation de l'état d'urgence, que consacre l'article 1er du projet de loi ; d'ailleurs, la jurisprudence du Conseil constitutionnel nous y incite, puisque tout justiciable peut actuellement demander au Conseil d'État ou à la Cour de cassation de poser une question préalable de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel portant sur la conformité à la Constitution de la loi prorogeant l'état d'urgence. Certes, en 1985, le Conseil constitutionnel a reconnu que la législation sur l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie était conforme à la Constitution, mais il a précisé qu'une modification de la loi du 3 avril 1955 entraînait la réouverture du contrôle de constitutionnalité. Tel est le cas du texte du 20 novembre dernier dont le titre précise qu'il renforce les dispositions de la loi du 3 avril 1955. Le Conseil constitutionnel peut également intervenir si les circonstances de droit ou de fait changent, et réévaluer la conformité du texte à la Constitution. Ce cas s'est présenté à l'occasion de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite « Perben II », sur la garde à vue : le Conseil constitutionnel l'avait déclarée conforme à la Constitution dans un premier temps avant que l'ampleur de l'extension de la garde à vue ne le conduise à réexaminer la loi.

Comme M. Jean-Christophe Lagarde l'a dit, les futurs gouvernements pourraient être de sensibilité politique différente de celle de l'actuel, et s'ils ne pouvaient pas utiliser l'état d'urgence, ils pourraient être tentés de mobiliser les dispositifs plus rigoureux de l'article 36 de la Constitution sur l'état de siège, qui prévoit le transfert des pouvoirs à l'autorité militaire, et de l'excessif article 16. Un état d'urgence constitutionnalisé apportera une meilleure protection des libertés publiques.

Je partage également le point de vue de M. Jean-Christophe Lagarde sur l'inopportunité de procéder à une dissolution de l'Assemblée nationale pendant l'état d'urgence. Celui-ci visant à assurer la stabilité du fonctionnement des pouvoirs publics, une dissolution de l'Assemblée nationale apparaîtrait pour le moins paradoxale et pourrait constituer une manoeuvre juridique pour résoudre un problème politique. Les comités Vedel et Balladur avaient préconisé l'inscription de l'état d'urgence dans la Constitution.

Comme pour l'article 1er, je me retrouve en large accord avec le Premier ministre pour l'article 2. La rédaction présentée marque un progrès par rapport à la précédente, mais risque d'entraîner une conséquence non souhaitée : en effet, l'article 34 de la Constitution énumère les matières législatives, dont fait partie la nationalité, et la rédaction de l'article pourrait circonscrire l'objet de la loi en matière de nationalité à la déchéance.

Il ne me paraît pas opportun, mais le choix relève avant tout du Premier ministre, de confier le soin de prononcer les déchéances de nationalité à l'autorité judiciaire. Il est préférable d'en rester à un décret pris après avis conforme du Conseil d'État, cette procédure ne fermant pas la possibilité de former un recours contre cet acte réglementaire devant le Conseil d'État. Ce dernier s'avère aussi protecteur des libertés que les magistrats de l'ordre judiciaire et se révèle mieux informé de ces questions de nationalité. Les magistrats de la Cour de cassation interviennent de manière sonore ces temps-ci, l'intensité de ce bruit n'étant pas proportionnelle à la justesse de leur analyse.

L'article 131-26 du code pénal porte sur l'interdiction des droits civiques sous le titre, inscrit depuis le code de 1791 et de 1810, de « dégradation civique » ; cette interdiction présente l'intérêt de priver de nombreux droits liés à la citoyenneté et de pouvoir être prononcée à l'encontre de délinquants mono ou binationaux sans aucune distinction. Il s'agit d'une peine complémentaire qui, en matière de terrorisme, est d'une durée maximale de 15 ans, comme le précise l'article 422-3 du code pénal. Il conviendrait d'augmenter le quantum de cette peine et de rétablir la dénomination antérieure de dégradation civique qui n'a pas été retenue par le code pénal de 1992 de manière à supprimer les appellations infamantes. Comme nous recherchons un phénomène de réprobation publique, il serait utile de reprendre cet intitulé. En outre, cette peine complémentaire pourrait posséder un caractère obligatoire, même si je sais qu'une telle proposition ne fait pas l'unanimité.

Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de ne plus faire référence à la binationalité dans l'article 2 du texte. Nous pouvons donc admettre cette proposition, surtout si la déchéance ou la dégradation civique l'accompagne. La France a déjà ratifié la convention initiale de 1954 relative au statut d'apatride en 1955, ce qui nous oblige, fort heureusement, à mettre en oeuvre des mesures de protection des apatrides. La seconde convention intervenue dans ce domaine, toujours dans le cadre de l'Organisation des Nations-Unies (ONU), date du 30 août 1961 et vise à réduire les cas d'apatridie ; elle comporte des dispositions protectrices appréciables, mais le paragraphe 3 de son article 8 dispose que l'État contractant conserve sa capacité, dans une série de cas limités, de priver un individu de sa nationalité s'il établit une déclaration à cet effet au moment de sa signature ou de sa ratification de la convention. Les actes terroristes entrent dans les cas pour lesquels la privation est possible, si bien que nous pourrions résoudre le problème de manière rationnelle et équitable en faisant en sorte que les apatrides soient mieux protégés tout en faisant cette déclaration. Cette possibilité nous est ouverte, car la France n'a pas encore ratifié cette convention et qu'en signant ce traité en 1962, elle a précisé que son instrument de ratification intégrerait la faculté offerte par le paragraphe 3 de l'article 8. Une loi doit autoriser la ratification, et le Parlement interviendrait dans un esprit largement consensuel, me semble-t-il.

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