En tant que membre de la commission des Lois, je m'associe aux félicitations adressées au président Jean-Jacques Urvoas pour sa nomination et lui adresse tous mes voeux de réussite. En revanche, je ne félicite pas le Gouvernement, monsieur le Premier ministre, pour les conditions chaotiques, confuses et laborieuses dans lesquelles intervient cette réforme constitutionnelle.
Vous l'avez rappelé dans votre propos, une telle réforme suppose une majorité qualifiée des trois cinquièmes des membres du Parlement, parce qu'elle doit être consensuelle et presque du domaine de l'évidence. Aujourd'hui, vous nous présentez un texte différent de celui proposé par le Président de la République devant le Congrès le 16 novembre dernier. Nous ne sommes donc plus vraiment dans l'esprit d'une réforme constitutionnelle. En outre, lorsque l'on porte une réforme consensuelle, on est assuré de l'adhésion de sa majorité et on tente de convaincre l'opposition pour atteindre la barre des trois cinquièmes. Or, nous nous trouvons dans un scénario inverse, puisque vous comptez sur les voix de l'opposition tout en tentant d'amadouer la partie récalcitrante de votre majorité. Enfin, le comble est atteint lorsque la ministre signataire du texte n'en approuve pas les dispositions.
Vous dites, monsieur le Premier ministre, que le Conseil d'État juge nécessaire la constitutionnalisation de l'état d'urgence. En vérité, deux décisions du Conseil constitutionnel consacrent déjà le caractère constitutionnel de l'état d'urgence, la dernière d'entre elles, rendue le 22 décembre 2015, consacrant même la constitutionnalité de l'une des mesures qu'il permet, l'assignation à résidence. Dans son avis du 17 novembre 2015 sur l'avant-projet de loi de prorogation, le Conseil d'État a affirmé qu'il n'était pas nécessaire de constitutionnaliser le dispositif de l'état d'urgence. Vous avez rappelé que l'avis du Conseil d'État portant sur ce projet de loi constitutionnelle estimait nécessaire la constitutionnalisation, mais il avait défendu l'idée inverse en novembre. Qu'est-ce que la constitutionnalisation de l'état d'urgence apporte ? Cette question se pose car la constitutionnalisation ne concerne que le principe de l'état d'urgence. Une loi dressera la liste des mesures qui pourront être appliquées – je vous rappelle que, malgré votre ton très affirmatif, c'est au Parlement d'en décider. Quand le Parlement aura-t-il connaissance de ce projet de loi ordinaire ? La loi pourra être soumise au Conseil constitutionnel. La constitutionnalisation du principe vous paraît-elle en mesure de contraindre davantage l'arbitrage du Conseil constitutionnel ? Si tel était le cas et contrairement à ce que disait M. Patrick Mennucci, il n'y a là aucun progrès pour les libertés.
Vous allez modifier la disposition concernant la déchéance de nationalité ; la Constitution fixe les règles touchant à la nationalité, et votre projet de loi propose de préciser que ces normes comprennent la déchéance et la perte des droits attachés à la nationalité. Une loi développera ces éléments – et nous devons avoir rapidement connaissance de votre projet pour vérifier si la parole du Président de la République est respectée –, mais elle n'évoquera pas les binationaux. Pourtant, comme vous dites que l'on ne pourra pas créer d'apatrides, cela ne touchera que les binationaux. M. Jean d'Ormesson avait raison, lorsque vous avez dialogué sur le plateau de l'émission On n'est pas couché, de se demander si cette démarche ne relevait pas de l'enfumage.
Les articles 130 et suivants du code pénal fixent le cadre de la déchéance des droits attachés à la nationalité. La rédaction du projet de loi constitutionnelle ne doit pas suggérer que l'on ne peut appliquer certaines déchéances que dans le cas de « crimes ou délits constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ». Cela pourrait signifier qu'aucun autre cas ne peut entraîner des déchéances des droits attachés à la nationalité. La rapidité avec laquelle ce projet a été élaboré a empêché de conduire des expertises précises, et il faudra étudier attentivement ce point. Enfin, s'il s'agit d'une peine complémentaire, on s'éloigne également de la parole du Président de la République.