Je serai bref. Demain, vous examinerez les amendements et nous nous retrouverons en séance publique à partir du vendredi 5 février. Le Président de la République avait indiqué dans sa déclaration au Congrès qu'il me confiait la mission de défendre la réforme constitutionnelle devant vous – ce n'est d'ailleurs pas la première fois dans l'histoire de la Ve République qu'un Premier ministre le fait. Mais, bien sûr, Jean-Jacques Urvoas sera utilement présent à mes côtés tout au long de ces discussions et de ces débats.
Je ne veux pas entrer dans le fond de l'ensemble des éléments. Il y a deux grands thèmes. Il y a d'abord tout ce qui est lié à l'état d'urgence, à sa durée, à son contenu, au contrôle parlementaire qui s'exerce sur lui, mais aussi à celui qu'exerce le Conseil constitutionnel – dans certaines limites, monsieur Lagarde, j'ai bien entendu vos remarques sur ce point.
S'agissant de la dissolution de l'Assemblée nationale en régime d'état d'urgence, monsieur Houillon, le Gouvernement est ouvert ; c'est le Parlement qui décide. J'évoquais le précédent de 1968, alors que l'état d'urgence n'était pas en vigueur. Je rappellerai simplement que, sous l'état d'urgence, des élections ont bien eu lieu au début du mois de décembre, même si je reconnais qu'il ne s'agissait pas d'élections législatives faisant suite à une dissolution. Quoique les élections régionales aient été marquées par les faits terribles que notre pays a subis, elles se sont déroulées normalement, en termes de réunions publiques ou de possibilité d'aller voter. Il n'y eu aucune entrave à l'exercice du droit fondamental qu'est le droit de vote. Mais vous mènerez une discussion sur ce point. Nous restons ouverts.
Ensuite, un autre débat se noue sur la différence qui ne doit pas s'opérer entre Français sur la base de la déchéance. C'est un des éléments que le Président de la République a voulu intégrer dans notre réflexion, depuis sa déclaration du 16 novembre. Nous avons donc préféré venir ici tirer les conclusions des divers débats, plutôt que d'attendre la séance publique. Sur la question de l'égalité, ne pas intégrer la problématique de la binationalité dans la Constitution me semble être une avancée.
Monsieur Houillon, comme votre président de groupe Christian Jacob en avait fait la demande, vous disposerez des avant-projets de loi d'ici à la fin de la semaine, avec les imperfections inhérentes à des textes encore à ce stade d'élaboration. Je souhaite maintenir un lien permanent avec les responsables des groupes et la Commission, dans le respect bien sûr du rôle du Parlement. Je veux être le plus transparent possible. Je ne veux piéger personne : la proposition que nous venons de vous distribuer n'est ni enfumage, ni solution miracle pour sortir de je ne sais quelle difficulté.
Je suis en désaccord avec vous, Monsieur Houillon, sur la réforme constitutionnelle. En effet, en général, une telle réforme se prépare. Celle de 2008 a été préparée par le comité présidé par l'ancien Premier ministre Édouard Balladur. Ses travaux ont donné lieu à beaucoup de débats et de discussions. Pourtant, même si le texte a recueilli au Congrès la majorité des trois cinquièmes, la révision n'a pas conduit à un rassemblement de la majorité et de l'opposition. On peut le regretter. Avec Jean-Marie Le Guen, nous avions, comme députés de l'opposition, défendu à l'époque certaines positions ; d'autres étaient favorables à la révision. En tout état de cause, même avec une longue préparation et avec un long travail, on ne réussit pas forcément le rassemblement auquel on aspire.
Je comprends le débat sur l'opportunité d'une réforme constitutionnelle. Mais celle-ci comporte une différence avec les autres : elle intervient après un choc. Je crois profondément que nous avons changé d'époque depuis les attentats de l'année 2015 et dans le contexte géopolitique que je n'ai pas besoin de décrire. Mon objectif et ma volonté sont donc de rassembler et d'avancer. Nous devons tenir compte des sensibilités et des déclarations des uns et des autres. C'est ce que nous faisons depuis le 16 novembre, pour aboutir à l'Assemblée nationale, puis au Sénat, au texte le plus solide possible, sur le plan des principes comme sur le plan juridique, en étant accompagné des lois que vous évoquiez.
Il y a bien sûr des différences entre nous, monsieur Coronado, et il faut complètement les assumer. Vous êtes opposé à la fois à l'état d'urgence et à la déchéance de la nationalité. Voilà qui est clair. Cela n'empêche pas que vous ayez initialement voté en faveur de l'état d'urgence, pour des raisons que votre collègue Cécile Duflot et d'autres orateurs de votre groupe ont bien expliquées devant le Congrès et dans la discussion, dans les circonstances particulières du moment. Mais vous vous opposez à sa prolongation ou à sa constitutionnalisation.
En tenant compte tant des travaux du « comité Balladur » que des avis rendus par le Conseil constitutionnel, la constitutionnalisation de l'état d'urgence assoit pourtant davantage cette règle exceptionnelle, qui était la seule à n'être pas dans la Constitution. Aussi proposons-nous de la conforter dans notre droit en l'inscrivant dans le texte fondamental, avec tout le contrôle qui s'impose.
Quant à la déchéance, je ne puis être d'accord avec vous quand vous dites que ce n'est pas une idée de gauche, car, à mes yeux, ce n'est pas le problème. Comme je l'ai rappelé il y a un instant, la déchéance de la nationalité s'inscrit dans notre histoire républicaine, qui a vu se succéder entre autres, depuis la Première Guerre mondiale, Raymond Poincaré, Édouard Daladier, le général de Gaulle et les autres présidents de la Ve République.
Je n'oublie pas les débats qu'il peut y avoir sur la déchéance et sur ceux qu'elle doit frapper – je ne veux entrer dans aucune polémique à ce stade. Doit-elle s'appliquer à des crimes contre des gendarmes ou des policiers, comme il a pu en être question à une époque, ou bien à ceux qui sont dirigés contre les intérêts fondamentaux de la nation ? Même si tout crime est terrible, horrible et insupportable, nous pensons que ce n'est pas la même chose de s'en prendre aux intérêts fondamentaux de la nation. Quand on déchire le pacte national, ce qui fonde le fait d'être Français, prendre une mesure de déchéance peut à ce moment-là s'expliquer parfaitement. Nous avons donc sur ce point un désaccord de fond.
Je ne veux certes pas faire de différence entre les Français binationaux et les autres. Mais il en existe déjà quelques-unes. Il y a déjà eu des déchéances de nationalité de binationaux ayant acquis la binationalité française. Ils étaient aussi Français que les autres. Comme je l'ai déclaré dans l'émission qui a conduit M. Houillon a veiller bien tard – et je l'en remercie –, je ne me considère pas comme différent parce que je suis un Français naturalisé ; je considère avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs.
Au-delà des sentiments des uns et des autres, ce débat ne me semble cependant pas être le bon. Je ne veux pas de différence entre les Français binationaux et les autres. Ce n'est pas l'objet de cet article de loi. Je veux faire la différence entre les terroristes et les autres. C'est celle que nous devons pleinement établir. Telle est la clarification que nous proposons : la vraie différence sépare ceux qui rompent avec le pacte national, avec ce que nous sommes et avec la France et ses valeurs, et l'immense majorité de nos compatriotes, sinon leur quasi-totalité, quelle que soit la manière dont ils ont acquis leur nationalité, par le droit du sol ou par le droit du sang, ou par naturalisation postérieure. Ce qui importe, c'est la manière dont ils font vivre ces valeurs qui les définissent comme profondément Français.
C'est pourquoi cet article 2 est utile. Il n'est pas une arme contre le terrorisme, au sens où nous l'entendons quand nous donnons plus de moyens aux forces de l'ordre ou aux forces de sécurité. Mais je crois à la force concrète des symboles, inscrits dans la Constitution. Elle a incontestablement sa portée.