Madame la présidente, Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vous présente à mon tour mes meilleurs voeux pour l'année 2016 et je vous remercie de m'accueillir pour que je vous présente les résultats du Conseil européen des 17 et 18 décembre derniers et que j'évoque les grandes priorités européennes de la France pour l'année qui vient, priorités qui ont du reste fait l'objet d'une communication du Premier ministre lors du Conseil des ministres de ce matin.
L'année 2016 est, pour l'Europe, celle de tous les dangers. Elle fait face à des crises multiples qui mettent à l'épreuve son unité, la solidarité entre les États membres et sa crédibilité pour apporter des solutions communes aux grands défis auxquels elle est confrontée. Aussi, je souhaite que nos débats, nos travaux et les initiatives que nous prendrons dans nos rôles respectifs puissent contribuer à en faire une année de construction et d'avancées pour l'Europe. Je sais que vous devez vous rendre prochainement en Grande-Bretagne pour y rencontrer les autorités du pays, notamment vos homologues de la Chambre des Communes ; la diplomatie parlementaire et les relations entre les parlements nationaux jouent un rôle très important dans le fonctionnement de l'Union européenne.
Les travaux du Conseil européen de décembre dernier ont porté, d'une part, sur ces grandes crises, dont les plus urgentes sont l'accueil des réfugiés et la lutte contre le terrorisme, et, d'autre part, sur plusieurs chantiers structurants pour l'avenir de l'Union européenne, en particulier l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, le renforcement du marché intérieur, l'Union de l'énergie et, bien entendu, la perspective du référendum britannique, même s'il a été convenu que ce débat serait repris lors de la prochaine réunion du Conseil, qui devrait être conclusive, au mois de février prochain.
En ce qui concerne la crise migratoire, il convient, selon le Président de la République – et le Conseil européen en a convenu –, de mettre en oeuvre les décisions qui ont déjà été prises lors des précédentes réunions suite à l'afflux massif de migrants. Le phénomène auquel nous avons assisté sur la route des Balkans – dû, à l'origine, à un problème lié au franchissement de la frontière entre la Turquie et la Grèce – s'est en effet ajouté à celui que nous observons en Méditerranée centrale où, aujourd'hui encore, font naufrage, au large de la Libye, des bateaux qui tentent de rejoindre les côtes italiennes ou l'île de Lampedusa. Ces sujets ont fait l'objet de multiples réunions, notamment des ministres de l'intérieur et de la justice ; il faut maintenant que le dispositif arrêté au plan européen soit appliqué.
Ce dispositif comporte quatre volets essentiels : les hotspots, c'est-à-dire les centres d'enregistrement dans lesquels doit également être faite la distinction entre les personnes relevant de la protection internationale et celles qui n'en relèvent pas ; la relocalisation, c'est-à-dire la répartition solidaire des réfugiés entre les 28 États membres de l'Union européenne ; le retour des migrants illégaux, dans le cadre d'accords de réadmission et de coopération avec les pays d'origine, et le renforcement des contrôles exercés aux frontières extérieures communes. Si l'un des maillons de cette chaîne est faible, l'ensemble du dispositif est fragilisé. Or, force est de constater que l'application de ces décisions est aujourd'hui trop lente.
Qu'on en juge. En ce qui concerne le premier volet, deux des cinq hotspots implantés en Italie ne disposent toujours pas d'officiers de Frontex et les trois autres sont dépourvus d'agents du Bureau d'appui à l'asile, l'EASO (European asylum support office). Quant aux cinq hotspots que doit accueillir la Grèce, trois d'entre eux seulement fonctionnent, dont deux sans agents de l'EASO ; en outre, leur capacité d'accueil est trop faible, puisqu'elle est de 1 850 personnes alors que, dans ce pays, les flux de migrants représentent encore actuellement plusieurs milliers de personnes par semaine. S'agissant des relocalisations, le 8 janvier, 272 réfugiés seulement avaient été relocalisés – 190 depuis l'Italie, 82 depuis la Grèce –, alors que l'objectif global est d'en relocaliser 160 000. Certains pays n'ont même pas nommé d'officiers de liaison avec les pays de premier accueil ou n'ont pas répondu aux sollicitations de l'EASO. En ce qui concerne les retours, depuis septembre dernier, seules 683 personnes non admises à bénéficier du statut de réfugiés ont été ramenées dans leurs pays d'origine.
S'agissant du contrôle des frontières, qui est devenu la question principale, celle dont dépend en grande partie la soutenabilité du système d'accueil et de protection internationale des réfugiés, la Commission a adopté, avant le Conseil européen, un ensemble de mesures correspondant aux priorités défendues par Bernard Cazeneuve, qu'elle a regroupées sous l'appellation de « Paquet de mesures pour le contrôle des frontières extérieures communes ». Ces mesures visent tout simplement à protéger l'espace de Schengen et à nous permettre de remplir nos missions en matière d'asile. Elles consistent dans une révision du « Code frontières Schengen » et du mandat de Frontex, l'objectif étant de mettre en place un système intégré de gestion des frontières et la création de garde-frontières et de garde-côtes européens. C'est une urgence absolue, non seulement pour des raisons liées à la crise migratoire, mais aussi pour des raisons de sécurité face au risque terroriste. L'objectif est de parvenir, avant la fin de la présidence néerlandaise, qui a débuté le 1er janvier, à un accord au Conseil sur tous les instruments législatifs. Mais il convient d'appliquer d'ores et déjà plusieurs de ses décisions, notamment le renforcement des moyens de l'agence Frontex et la mise à disposition par l'ensemble des États membres d'une réserve de personnels, composée notamment d'agents des services de contrôle des frontières, qui doivent pouvoir se porter au secours des pays de première entrée – essentiellement, aujourd'hui, la Grèce et l'Italie –, pour les aider à gérer les centres d'accueil, à exercer les contrôles aux frontières et à lutter contre les réseaux d'immigration clandestine.
Ce dernier objectif est également celui de l'opération Sophia, menée par l'ensemble des marines européennes en Méditerranée. Cette opération s'inscrit cependant dans les limites d'un mandat qui, tant qu'un gouvernement d'union nationale n'aura pas été mis en place en Libye, ne permet d'agir que dans les eaux internationales, et non dans les eaux territoriales pour lutter contre les départs de bateaux. Mais un dispositif européen de contrôle des frontières beaucoup plus puissant est nécessaire dès maintenant, partout, en particulier en Grèce.
La situation en Turquie a également fait l'objet d'une discussion, puisqu'un plan d'action avait été négocié avec ce pays. Une réunion s'est tenue en marge du Conseil européen en présence du Premier ministre turc et de la Chancelière allemande, du Président de la Commission européenne et du vice-président Timmermans, qui est en charge de la négociation avec la Turquie. Le Premier ministre turc a indiqué quel était l'état d'avancement de la mise en oeuvre du plan d'action, qui comporte un ensemble de réformes législatives concernant les passeports biométriques, l'amélioration de l'accès au travail des Syriens et une politique de visas plus restrictive. Dans le cadre de la discussion engagée avec la Turquie, qui comprend une aide pour l'accueil des quelque 2 millions de réfugiés présents sur son sol – il faut d'ailleurs aider également le Liban et la Jordanie : c'est une priorité de votre Commission et de la France –, nous attendons de ce pays qu'il lutte contre les réseaux d'immigration illégale, qui mettent en danger la vie des migrants, et qu'il coopère très fermement au contrôle des frontières. Pour l'instant, il a été constaté, lors du Conseil européen, que ce plan d'action ne produit pas encore d'effets. De fait, les flux ont ralenti, mais il est probable que ce ralentissement s'explique davantage par les conditions météorologiques que par une action effective de la Turquie, action qui, en tout état de cause, n'a pas suffi à arrêter ces flux.
Le deuxième grand sujet abordé par le Conseil européen est lié au contrôle des frontières puisqu'il s'agit, même s'il faut éviter tout amalgame, de la lutte contre le terrorisme.
En ce qui concerne l'action externe de l'Union européenne, on peut se féliciter de la réaction positive de la plupart des États membres à la demande de la France d'activer la clause de solidarité et d'assistance mutuelle au titre de l'article 42-7 du traité de l'Union européenne, dont je rappelle qu'il stipule que, lorsqu'un État est victime d'une agression armée, il peut demander aide et assistance aux autres États membres. Ainsi l'Allemagne a pris la décision historique – le vote du Bundestag est en effet sans précédent – de nous apporter, au titre de cette clause, un soutien dans le cadre de nos opérations contre Daech en Irak et en Syrie et des renforts dans le cadre de nos opérations au Sahel. La Chambre des Communes a également voté, sur la proposition du Premier ministre David Cameron, l'engagement de la Grande Bretagne dans la lutte contre Daech en Syrie. D'autres États membres, notamment la Suède, ont accepté de contribuer à notre action militaire contre Daech.
Au plan interne, le Conseil européen a surtout insisté sur la nécessité de renforcer l'échange d'informations. La feuille de route qui avait été adoptée le 12 février dernier, après les attentats de janvier à Paris, doit bien entendu être appliquée. Mais l'une des leçons que nous avons tirées des attentats du 13 novembre est que tous les fichiers européens – le Système d'information Schengen (SIS) et les fichiers d'Europol – doivent recevoir les informations que détiennent les différents services de police, de justice ou de renseignement des États membres afin que, lors des contrôles effectués aux frontières extérieures ou à l'intérieur de Schengen, les polices de l'air et des frontières aient connaissance du signalement d'un individu dans un des États membres pour ses liens avec des organisations terroristes. Une multitude d'exemples montrent qu'aujourd'hui, nous en sommes loin : trop peu d'États transmettent leurs informations à Europol. La garde des Sceaux a également insisté, lors des dernières réunions du Conseil « Justice et affaires intérieures » (JAI), sur la nécessité de transmettre les informations relatives au casier judiciaire en recourant à ECRIS (Système européen d'information sur le casier judiciaire).
S'agissant du PNR (Passenger name record), l'accord entre le Conseil et le Parlement européen est intervenu avant le Conseil européen du mois de décembre. Il faut maintenant que le Parlement européen adopte définitivement, en séance plénière, cette législation qui demandera encore beaucoup de travail pour être mise en oeuvre au plan technique.
Dans ses conclusions, le Conseil a également demandé que des contrôles systématiques et coordonnés soient exercés aux frontières extérieures communes de l'Union européenne, y compris pour les citoyens de cette dernière – il ne s'agit évidemment pas de remettre en cause la liberté de circulation. L'un des sujets de préoccupation majeurs dans ce domaine est la fraude documentaire, puisque l'organisation État islamique a mis la main sur des dizaines de milliers de passeports syriens et irakiens qui peuvent être utilisés de manière détournée par des individus qui cherchent à se rendre dans l'Union européenne. La priorité absolue est donc de mettre en place, pour des raisons de sécurité et de maîtrise de la crise migratoire, des procédures de contrôle des documents d'identité.
Enfin, le Conseil européen a entériné les décisions présentées par les ministres de l'intérieur et de la justice concernant la révision de la directive sur les armes et le renforcement de la lutte contre le financement du terrorisme. Cela semble aller de soi, mais nous nous sommes heurtés aux réticences d'États membres qui sous-estiment la gravité du problème. Certains d'entre eux ont ainsi invoqué l'utilisation des armes à des fins de défense citoyenne en vertu de traditions locales, sans comprendre qu'il ne s'agit pas de remettre celles-ci en cause mais de prendre la mesure du risque et d'agir de manière coordonnée au plan européen et international, car c'est la seule manière d'être efficace. Si nous ne sommes pas capables de montrer que toutes les mesures sont prises au plan européen pour lutter contre le terrorisme et gérer la crise des réfugiés, c'est l'Europe elle-même qui sera mise en cause et qui risque d'être balayée en 2016.
Le Conseil européen a également pris des mesures dans trois domaines importants pour l'économie et la croissance en Europe. En ce qui concerne, tout d'abord, l'Union économique et monétaire, je veux insister sur l'Union bancaire, dont le deuxième pilier, le mécanisme de résolution unique, est entré en vigueur le 1er janvier de cette année. Sur le troisième pilier, la garantie des dépôts, la discussion avec l'Allemagne n'a pas encore débouché. S'agissant, ensuite, de l'approfondissement du marché intérieur, le Conseil a invité les institutions européennes à accélérer la mise en oeuvre de la stratégie pour un marché unique numérique, notamment la régulation des plateformes et les droits d'auteur, et de l'Union des marchés de capitaux, que nous préférons appeler l'Union des financements et de l'investissement, pour permettre de financer davantage les petites et moyennes entreprises. En ce qui concerne, enfin, l'Union de l'énergie, il convient, selon nous, de mettre en oeuvre, à la suite de la COP21, toutes les mesures du paquet « Énergie climat » pour 2030, adopté en octobre 2014. L'Europe a joué un rôle de leader et a contribué au succès de cet accord international ; il faut maintenant qu'elle applique ses propres décisions en matière de transition énergétique tout en assurant la sécurité de son approvisionnement.
Enfin, le Conseil européen a examiné la question du référendum britannique. La position de la France et celle, unanime, du Conseil européen, consistent à encourager une convergence de vues afin que le Royaume-Uni reste dans l'Union européenne, sans pour autant s'engager dans une révision des traités ni remettre en cause les principes qui fondent l'Union européenne. Notre position est claire.