Intervention de Marie-Françoise Bechtel

Réunion du 28 janvier 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Françoise Bechtel :

J'interviens ici en tant que députée apparentée au groupe socialiste, républicain et citoyen et au nom du Mouvement républicain et citoyen fondé par Jean-Pierre Chevènement, dont on s'accorde à reconnaître qu'il est une voix singulière.

Tout d'abord, nous sommes très conscients du contexte sécuritaire dans lequel ce projet de loi constitutionnelle nous est soumis. Il nous paraît donc normal de prendre des mesures de court terme ou d'ordre constitutionnel, mais nous estimons également nécessaire de mener, un jour, une réflexion sur de grands projets d'intégration qui nous éloignerait de la simple question de la déchéance de nationalité, laquelle est inessentielle dans l'esprit des Français.

S'agissant de l'état d'urgence, je crois avoir été la première à souligner la nécessité de réviser la Constitution afin de l'y intégrer, car il faudra bien, avais-je ajouté, introduire dans le texte fondamental le principe du contrôle du Parlement. J'ai d'ailleurs déposé un amendement en ce sens, qui a été approuvé par certains de nos collègues. À cet égard, je précise que, le texte de la Constitution devant être concis, cet amendement doit être bref.

Quant à la déchéance de nationalité, elle a fait l'objet, au Parlement, dans la presse et dans le pays, d'un débat que je n'ai pas trouvé indigne. Il m'a beaucoup appris, m'a fait longuement réfléchir et, je n'hésite pas à le dire, m'a conduite à changer plus ou moins de point de vue sur la question. En résumé, il me paraît nécessaire que l'on prête la plus grande attention au principe d'égalité. Les Français ne comprennent pas – c'est culturel – que l'on traite les uns et les autres d'une manière différente. Ils ont la passion de l'égalité, et elle les entraîne parfois très loin. Or, cette égalité a une traduction juridique, car nous sommes un peuple de juristes. En tant que constituant, nous ne sommes soumis à aucun contrôle, et cela nous oblige : nous devons légiférer avec tact et mesure et nous en tenir à un texte clair et précis.

Le texte du Gouvernement pourrait nous convenir, à certaines conditions que le débat pourrait utilement éclaircir. C'est pourquoi il est bon, monsieur le Président, que nous discutions aujourd'hui de sa dernière mouture, c'est-à-dire de l'amendement du Gouvernement auquel vous avez fait allusion. Supprimer du texte toute référence aux binationaux est une bonne initiative car, encore une fois, les Français ne comprennent pas qu'il y ait deux poids et deux mesures. En revanche, le principe selon lequel tout Français, y compris un Français de naissance, peut être privé, dans des conditions drastiques, de sa nationalité est un principe républicain, comme le Premier ministre l'a rappelé hier en précisant que cette mesure avait été créée pour sanctionner ceux qui n'auraient pas respecté la prohibition de l'esclavage. Il importe néanmoins que le texte soit clair sur ce point. La déchéance de nationalité est, certes, une mesure symbolique, mais le débat qu'elle a suscité a eu le mérite de remettre la question de la nationalité sur le devant de la scène. C'est la raison pour laquelle je crois utile que nous l'adoptions.

J'approuve le fait que cette disposition soit intégrée dans l'article 34, qui dispose que la loi fixe les règles relatives à la nationalité. Mais je précise qu'elle n'a de sens constitutionnel que si elle permet l'application de la déchéance de nationalité à tous et non aux seuls binationaux, autrement dit si elle rend possible l'apatridie. Se pose, dès lors, la question de savoir quel sera le contenu de la loi. Je me félicite, à cet égard, que le Premier ministre ait accepté la proposition de ratifier la Convention de New York du 30 août 1961. Je rappelle que celle-ci limite les cas d'apatridie, ce qui signifie a contrario qu'elle ne les prohibe pas totalement au nom du droit international, lequel est largement fondé, pour ce qui est des Conventions des Nations-Unies, sur le droit naturel – c'est un point important. La Convention de 1961 acceptant des cas d'apatridie plus larges que ceux prévus dans le texte du Gouvernement, je ne vois pas pourquoi notre Constitution n'autoriserait pas l'application de la déchéance de nationalité aux nationaux nés Français. Dès lors que nous ratifierions cette Convention – dont la valeur, je le rappelle, est inférieure à celle de la Constitution mais supérieure à celle de la loi –, une loi pourrait permettre une apatridie limitée. Tel est le dispositif qui pourrait être retenu. Celui-ci pourrait cependant avoir des répercussions sur l'écriture de l'article 2 car, en précisant que la déchéance de nationalité n'est possible qu'en cas de condamnation pénale, il est plus restrictif que la Convention.

Sous cette réserve, je crois qu'en étant ainsi attentifs à adopter une mesure – certes symbolique, mais les symboles ont leur rôle – qui ne violerait ni le droit naturel ni les conventions internationales tout en prévoyant une apatridie restrictive, nous pourrions aboutir à une solution constructive et, j'insiste sur ce point, claire. Nous avons en effet le devoir, en tant que constituant, d'écrire un texte qui ne laisse aucune place à l'équivoque.

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