Intervention de Jacques Valax

Réunion du 28 janvier 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Valax :

Le Premier ministre a eu raison de rappeler que la période actuelle est particulière, marquée par des événements d'une gravité exceptionnelle qui mettent en péril les fondements mêmes de notre République, qu'il faut donc adapter la loi à cette situation nouvelle et exceptionnelle et que le projet de loi constitutionnelle doit être adopté de façon consensuelle. Il nous appartient en effet de légiférer face à l'atteinte portée aux intérêts fondamentaux de la Nation.

Mais, avant que nous n'abordions l'examen des articles, je veux rappeler un certain nombre de principes. Une République qui oublierait ses origines ne tarderait pas à les renier. Dans ces moments difficiles, notre République doit se ressourcer, se ressaisir pour ne pas s'abîmer, voire sombrer dans l'excès. Notre héritage républicain ne doit en aucun cas être menacé. Ce que nous appelons, avec fierté, nos grands principes républicains ne sont pas et ne seront jamais des acquis ineffaçables et irréversibles. Notre Constitution et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen sont au fondement de ce qui nous rassemble, ce qui nous permet de vivre ensemble. Ne modifions donc pas la Constitution sous le coup de l'émotion ! Travaillons dans le calme, avec objectivité, en étant soucieux de faire aboutir une volonté commune. Ne renonçons pas à ce qui fait la force de notre République : l'unité et l'indivisibilité de notre corps social républicain. Ne laissons pas penser que notre Constitution pourrait devenir un outil de marketing politique ; nous l'avons suffisamment reproché à la majorité précédente. Ne mettons jamais au même niveau juridique la déchéance de nationalité, la liberté, l'égalité, la fraternité et la laïcité.

Les événements nous obligent, certes, à légiférer, mais il nous faut garder une certaine distance, source de sagesse, afin de parvenir au consensus que nous recherchons tous.

En ce qui concerne l'état d'urgence, je partage pleinement l'analyse du Premier ministre. Lui donner un fondement constitutionnel, c'est conforter les mesures de police actuelles et éviter les conséquences fâcheuses ou désastreuses qu'entraînerait la recevabilité éventuelle d'une question prioritaire de constitutionnalité. Par ailleurs, et c'est rassurant du point de vue des libertés individuelles, le Premier ministre a précisé qu'un contrôle parlementaire, dont l'efficacité serait garantie, serait instauré et qu'une loi ordinaire définirait certaines mesures : saisie du matériel informatique, droit de suite, droit de maintien à disposition d'une personne pendant quatre heures. Enfin, le tout serait assorti, et c'est essentiel du point de vue de la garantie des libertés publiques, d'un contrôle judiciaire et non plus administratif.

Sur la déchéance de nationalité, je reste réservé ; j'espère que nos débats apporteront une réponse à mes interrogations. L'homme de la rue a besoin qu'on lui parle de manière claire et précise. Certes, le texte ne fait plus de distinguo entre les citoyens, mais le doute demeure puisque la rédaction de l'article 2 du projet laisse supposer que le binational pourrait être déchu de la nationalité française tandis que le Français ne possédant pas d'autre nationalité ne pourrait être déchu que de ses droits civils ou civiques. Il va donc falloir que l'on m'explique les choses de manière pragmatique, que l'on me dise quel juge fera ce distinguo et à quel stade de la procédure.

Par ailleurs, pourquoi est-il désormais prévu que la déchéance de nationalité puisse s'appliquer à des personnes ayant commis des délits alors que seuls les crimes étaient mentionnés dans le texte initial ? Que l'on fasse référence aux crimes, on le comprend puisque les faits reprochés à ceux qui seront jugés en tant que terroristes seront des crimes affreux. En revanche, on ignore sur quel fondement matériel et juridique seront définis les délits visés. Je n'accepte pas cette extension soudaine du champ d'application de la mesure. J'attends donc des explications sur ce point ; je les écouterai, et peut-être me convaincront-elles. Je reste circonspect. J'attends des garanties supplémentaires, et je demeurerai intransigeant sur la sauvegarde de nos principes républicains.

En conclusion, les Françaises et les Français attendent de nous, au-delà de nos discussions savantes, voire byzantines, que nous nous attaquions aux racines du mal – l'injustice, l'exclusion, le rejet, la pauvreté, la précarité – et que nous agissions fortement dans nos quartiers, nos écoles, pour restaurer le pacte républicain, redistribuer les richesses, rétablir partout la sécurité, qui est un bien essentiel. Ils attendent de nous une action forte, pragmatique, réaliste et adaptée aux besoins qui sont les leurs.

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