Intervention de Alain Tourret

Réunion du 28 janvier 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret :

Qu'est-ce que la Constitution ? C'est un texte qui définit les principes républicains et organise les pouvoirs. Dans celle de 1958, seuls deux articles, les articles 16 et 36, visent à organiser les pouvoirs dans les périodes pendant lesquelles la République doit répondre à des attaques, extérieures ou intérieures. Mais ces articles ne concernent pas les mesures relatives à l'état d'urgence, qui relèvent actuellement de la loi du 3 avril 1955. Or il me semble que, dans un souci d'équilibre évident, la notion d'état d'urgence – ou de nécessité, j'y viendrai dans un instant – doit figurer dans la Constitution.

Mais, précisément, doit-on parler d'état d'urgence ou d'état de nécessité ? L'urgence, les juristes le savent, permet aux organes judiciaires de prendre des décisions par référé, pour désigner un expert ; elle est strictement limitée dans le temps. Il me semble préférable de retenir la notion de nécessité. L'état de nécessité désigne en effet très exactement une organisation des pouvoirs de nature à permettre à la Nation de répondre à la menace dont elle est victime. Qu'en est-il de l'état de siège ? Doit-on le maintenir dans la Constitution ? À l'évidence, non. L'état de siège, qui permet de confier tous les pouvoirs à celui qui commande une ville assiégée, n'a en effet plus rien à voir avec la situation actuelle. Du reste, la Constitution du 27 octobre 1946 ne comportait pas de dispositions à ce sujet. Dans le cadre de l'état de siège, ces pouvoirs exceptionnels sont confiés, non pas aux autorités civiles, mais aux autorités militaires et toutes les affaires judiciaires sont transférées aux juridictions militaires lorsque celles-ci demandent à en être saisies. Outre qu'il faudrait reconstituer toutes les juridictions militaires, depuis les tribunaux militaires de plein droit jusqu'à la Cour de sûreté de l'État, on peut se demander s'il est bien sage que la Constitution prévoie la possibilité de confier des pouvoirs exceptionnels aux autorités militaires. Or, ne pas la modifier sur ce point alors que l'on va compléter son article 36, c'est conforter la notion d'état de siège, qui est très dangereuse pour la démocratie elle-même.

Par ailleurs, je crois que nous allons parvenir à cette forme de consensus que j'appelle une majorité d'idées républicaine. Celle-ci constitue la réponse adéquate aux attaques que nous subissons actuellement. Du reste, lors des dizaines de réunions auxquelles j'ai participé récemment, je n'ai pas rencontré une seule personne qui conteste la nécessité de répondre, notamment par la déchéance de nationalité, à ces attaques. Je ne peux qu'avoir confiance dans l'opinion des électeurs de ma circonscription, surtout lorsqu'elle s'exprime de manière aussi massive. En revanche, il ne faut pas aller trop loin. Ainsi, la déchéance de nationalité est une mesure si importante qu'elle ne peut sanctionner que des personnes ayant commis des crimes, et des crimes graves, faute de quoi elle pourrait s'appliquer de plein droit, massivement. Or, nous avons tous en mémoire les pratiques du régime de Vichy dans ce domaine. Ce serait donc extrêmement dangereux. C'est pourquoi il est nécessaire de répondre aux attentes de nos concitoyens en instaurant la déchéance de nationalité, mais en en limitant le champ d'application et en en confiant l'organisation au pouvoir judiciaire plutôt qu'aux structures administratives.

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