La situation commande que l'on parle clair. C'est pourquoi je veux dire avec netteté, au risque de choquer certains, que je suis opposée à la révision de la Constitution dont nous débattons.
La première raison de mon opposition est de nature historique. Je ne crois pas, en effet, que lorsque notre pays est confronté à un péril, la meilleure réponse soit de réviser notre Constitution et de modifier à la hâte les fondements de notre démocratie. La Constitution fixe le cadre commun dans lequel nous vivons ; elle est une forme de capital immatériel de la démocratie. Or, entamer ce capital est une erreur. Chacun sait d'où naît une telle précipitation, mais il n'est pas interdit de revenir à la sagesse, laquelle commande d'agir avec prudence et modération. La réforme de la Constitution ne saurait être justifiée par des coups de menton ou par la volonté de créer un embrouillamini tactique. Le bruit des talons qui claquent, l'affichage de l'autorité, ne peuvent constituer en soi un objectif. Ce n'est pas l'esprit de discipline qui doit nous guider. Je mesure la pression qui s'exerce sur les parlementaires, mais il nous faut agir avec pondération. Nous devons appliquer un principe de précaution démocratique en prenant garde de ne pas céder à l'emportement pour des raisons de circonstance.
La deuxième raison de mon opposition tient à ma conception de la lutte contre le terrorisme. Nous ne pouvons pas offrir à nos ennemis la victoire symbolique que serait pour eux la révision de notre pacte commun. Notre démocratie est leur cible ; elle doit demeurer à chaque instant notre arme. Aussi devons-nous rester extrêmement prudents face au piège qui nous est tendu. Leur rêve est de nous voir restreindre le champ de notre démocratie, qu'ils détestent ou tiennent pour un régime malsain. Or, cette révision constitutionnelle est la première, dans l'histoire, à restreindre les libertés. Il nous faut, au contraire, tenir bon sur les libertés publiques, sur l'usage de la démocratie, sur notre conception des rapports entre justice et police et sur la nécessité de contre-pouvoirs forts et avisés.
À ceux qui diront que j'exagère et que je devrais être plus modérée car rien de tout cela n'est menacé, je réponds que la démocratie ne souffre pas de faux plis. Je refuse que nous empruntions le chemin de l'état d'urgence permanent, qui représente désormais un véritable risque. Il mène à l'état d'exception, dans lequel l'arbitraire deviendrait la nouvelle norme démocratique. En tant que parlementaires, en tant que constituant, nous ne pouvons l'accepter.
Enfin, mais j'y reviendrai, je veux dire un mot du débat sur la déchéance de nationalité. La plus grande confusion règne à ce sujet. Ce débat est né du discours prononcé par le Président de la République à Versailles, dans lequel il a indiqué que la déchéance de nationalité « ne doit pas avoir pour conséquence de rendre quelqu'un apatride » mais qu'il fallait « pouvoir déchoir de sa nationalité française un individu […] même s'il est né Français […] dès lors qu'il bénéficie d'une autre nationalité. » Or, ce matin, M. Patrick Mennucci a indiqué qu'un binational né Français ne pourra pas être déchu de sa nationalité. On voit donc bien que l'objectif du texte n'est plus de traduire la volonté exprimée par le Président de la République. Et pour cause : ce débat a suscité un réveil des consciences. Des intellectuels de toutes obédiences se sont exprimés et une ministre – et non des moindres – a démissionné pour marquer son opposition à une mesure qu'elle juge dangereuse et attentatoire à nos valeurs. Je tiens d'ailleurs à la saluer et à rendre hommage à son action, à son courage, à sa clairvoyance et aux propos qu'elle a tenus hier. Les attentats et la lutte contre le terrorisme ne sauraient nous conduire à pointer du doigt une catégorie de personnes résidant sur notre territoire.
Je ne manifeste là aucune faiblesse ; je pense que les terroristes doivent être combattus, traqués, jugés et lourdement punis. Le combat que nous menons contre ces fanatiques requiert la plus grande fermeté, mais être ferme, c'est aussi mener et gagner la bataille des symboles. Ils rêvent de nous désunir, de nous opposer, de nous faire entrer dans leur spirale de haine. Ils rêvent que ce débat tourne à la caricature et – je le dis avec gravité – que l'on accuse ceux qui s'opposent à la réforme de la Constitution d'être faibles et de manquer de fermeté. C'est faux. Nous devons refuser d'emprunter le toboggan glissant de la déchéance de nationalité et mener la véritable bataille, celle qui empêche d'enrégimenter les esprits faibles, celle qui, comme le disait si bien Germaine Tillion, consiste à répondre au terrorisme, non pas uniquement par des opérations de police, mais aussi en asséchant ce qui l'engendre.
Enfin, l'article 89 de notre Constitution dispose qu'« aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire ». Cette notion fait l'objet d'un débat parmi les constitutionnalistes. On sait que le constituant de 1958 pensait à l'Occupation, mais on peut tout de même considérer que, dans son esprit, cet article proscrit toute révision constitutionnelle en période troublée car cela aboutit à créer un malaise et une situation tactique. Je suis l'élue d'une circonscription qui a été durement éprouvée par les attentats du 13 novembre, mais je suis aussi, comme nombre d'entre vous, une femme politique engagée dans des débats internes à un parti politique. À ce titre, je sais mieux que quiconque, en tant que membre du parti écologiste, ce que sont les congrès, les commissions de résolution, les accords et les petits compromis. Ce n'est pas indigne : aboutir à des compromis est le sens de la politique. On peut rédiger un texte de manière à ce que chacun puisse y lire ce qu'il veut lorsqu'il s'agit d'une motion de synthèse, mais non lorsqu'il s'agit de la Constitution.
Telles sont les raisons pour lesquelles je m'oppose, ainsi qu'une majorité des écologistes, à ce texte. Je souhaiterais surtout que mon intervention soit une invitation à la réflexion. Il y a une forme de grandeur à ne pas s'obstiner dans l'erreur quand le seul bénéfice de la joute tactique est d'affaiblir l'esprit même de notre pacte fondamental.