Intervention de Cécile Duflot

Réunion du 28 janvier 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Duflot :

Je ne reprendrai pas tout le débat ouvert sur la déchéance de nationalité. On peut évidemment dire et redire que seuls sont visés par cet article les terroristes ou ceux qui envisageraient de commettre un acte terroriste. Mais on peut aussi rappeler qu'une telle disposition ne les empêcherait absolument pas de commettre un tel acte. On pourrait même penser que la création de fait d'une forme de brevet ou de reconnaissance d'actes terroristes présenterait un attrait pour ceux qui s'inscrivent dans cette logique folle, meurtrière et symbolique. Nous n'avons pas encore débattu de la notion d'indignité nationale mais celle-ci pourrait également, dans cette logique inversée, constituer une forme d'encouragement morbide. Je veux donc dire à quel point nous sommes opposés à une telle mesure.

Je m'interroge aussi fortement quant à la nouvelle rédaction de l'article 2 qui nous a été proposée hier lorsque le Premier ministre a présenté le projet de loi. Le Gouvernement fait preuve d'habileté tactique en proposant de retirer la référence à la binationalité qui figurait dans la rédaction initiale de l'article 2 et en annonçant son intention de ratifier la Convention de New York du 30 août 1961 sur la réduction des cas d'apatridie. Je rappelle que l'article 7.3 de la Convention européenne sur la nationalité du 6 novembre 1997 stipule qu'un État partie ne peut prévoir dans son droit interne la perte de sa nationalité si la personne concernée devient ainsi apatride. La France est signataire de cette Convention, mais certains objectent qu'elle ne l'a pas ratifiée.

Soit dit en passant, la non-ratification de la Convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie nous renvoie à un moment difficile de l'histoire de France, et il n'est pas anecdotique que nous ayons ce débat en ce moment. En revanche, l'article 27 de la Convention européenne sur la nationalité prévoit précisément que la signature de celle-ci vaut consentement si aucune réserve n'est émise par l'État signataire. La France n'ayant émis aucune réserve à sa signature, l'application de cette dernière est obligatoire.

Par ailleurs, l'annonce de la ratification de la Convention de 1961, signal positif en faveur de la lutte contre l'apatridie, signifie a contrario que la déchéance de nationalité ne sera applicable qu'aux binationaux. La nouvelle rédaction de l'article 2 proposée par le Gouvernement permet donc deux lectures : la lecture « large » faite par le Gouvernement, selon laquelle la déchéance serait permise dans la Constitution mais réservée aux seuls binationaux du fait de la ratification de la Convention de 1961 – de sorte que l'amendement gouvernemental ne changerait rien au projet de loi initial si ce n'est que la notion de binationalité serait retirée du texte ; une lecture plus restrictive, selon laquelle cette réforme n'aurait aucun effet utile dans cette nouvelle rédaction puisque l'article 1er de la Constitution dispose que « les Français naissent et demeurent libres et égaux en droits » – ce qui protégerait tous les Français, binationaux ou non, leur déchéance demeurant impossible.

Je comprends que l'on essaie de trouver des compromis, voire des habiletés d'habillage, pour respecter les sensibilités des uns et des autres. Mais ce n'est guère responsable lorsqu'il s'agit de réviser la Constitution.

Sur un plan plus secondaire, l'élargissement de la déchéance de nationalité aux délits me semble considérable d'autant que la qualification des délits n'est pas précisée. Elle le serait certes dans la loi ordinaire, mais vous savez à quel point il est facile de modifier des textes législatifs. On ouvre donc la voie à la surenchère. On se souvient des débats ayant eu lieu dans des moments d'émotion concernant les condamnations pour apologie du terrorisme : certains ont proposé des condamnations à des peines invraisemblables au regard des faits constatés. Cet élargissement pourrait nous mener à une situation extrêmement préjudiciable. Soit ce qui apparaît comme un compromis n'en est pas un, auquel cas ce n'est pas honnête, soit ce compromis nous fait revenir au droit actuel, auquel cas il n'y a pas besoin de réviser la Constitution.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion