Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Réunion du 28 janvier 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Souvenons-nous d'abord que le principe de déchéance de nationalité a beaucoup évolué au cours de notre histoire pour répondre à des circonstances et à des volontés politiques différentes. Je mets évidemment de côté les déchéances collectives du régime de Vichy.

Rappelons-nous ensuite que nous sommes en train de rédiger la Constitution et que la loi ordinaire pourra évoluer par la suite au gré des majorités successives. Si je le dis, c'est qu'il est pour nous extrêmement important que la Constitution ne fasse pas de distinction entre Français – que ce soit entre mononationaux et binationaux ou autres. Une telle distinction figure déjà dans certaines lois, puisque l'on peut aujourd'hui être déchu de la nationalité française si l'on est Français par naturalisation depuis moins de quinze ans, mais, de grâce, n'en faisons pas autant dans la Constitution !

La nouvelle proposition présentée hier par le Premier ministre me semble correspondre à notre impérieuse exigence en la matière. Je pourrais d'autant moins voter un texte qui établirait une différence entre Français selon leur origine que nous nous accordons tous sur le fait que la déchéance de nationalité doit découler d'une décision judiciaire. Or, on ne saurait accorder un privilège judiciaire à un criminel en fonction de son ascendance : ce serait contraire à l'individualisation des peines et aux principes fondamentaux qui président à la justice telle que nous la concevons dans la République.

De ce fait, je ne comprends pas l'idée selon laquelle les conventions internationales seraient un point de blocage nous obligeant à faire une distinction entre Français. Les principes précités me paraissent bien plus essentiels que le problème de l'apatridie – apatridie dont je veux dire qu'elle doit naturellement être évitée, mais qu'elle existe et qu'elle n'est pas privative de tout droit. Il existe fort heureusement un statut international et un statut national des apatrides, ainsi qu'un Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Il me paraît plus important de faire en sorte qu'il n'y ait aucune distinction entre les Français, que l'individualisation de la peine soit maintenue dans notre système judiciaire et que nous puissions respecter la hiérarchie des valeurs.

On a beaucoup parlé de la Convention de 1961. Je veux donc préciser que, si nous en décidons ainsi – et c'est mon souhait –, nous pouvons parfaitement traiter les Français de façon égale dans la Constitution et ratifier cette Convention tout en prévoyant, au moment de la ratification, que la France se réserve le droit de faire application de son article 8, paragraphe 3 a) ii, qui permet en effet de priver de nationalité un individu dès lors qu'il « a eu un comportement de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l'État ». Rien ne nous empêche de ratifier cette Convention, à condition que le Gouvernement s'engage à procéder à la réserve précitée.

Nous ne devons donc pas supprimer l'article 2, mais nous engager, puisque nous parlons d'unité nationale, dans un processus global et cohérent, allant jusqu'à la ratification de la Convention de 1961, sans quoi l'on pourrait penser qu'il y a derrière tout cela une manoeuvre politique visant à gêner le déroulement de ce processus.

Enfin, l'amendement présenté hier par le Gouvernement, qui semble avoir été écrit un peu précipitamment, prévoit que l'on peut déchoir un individu de sa nationalité « ou des droits qui lui sont attachés ». Une telle formulation laisse planer l'idée qu'il pourrait y avoir une déchéance à deux vitesses en fonction de l'origine des Français. Une partie de nos concitoyens ont une seconde nationalité, parfois d'ailleurs contre leur souhait, par la seule volonté de l'État d'origine de leurs ascendants. Nous ne pouvons donc pas conserver cette formulation, qui fait peser le risque que l'interprétation de la loi ordinaire aboutisse à établir des différences entre Français.

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