Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du 27 janvier 2016 à 9h30
Commission des affaires sociales

Agnès Buzyn :

Madame Delaunay, en ce qui concerne l'évaluation du service médical rendu, l'excellent rapport de Mme Dominique Polton trace la feuille de route. Il pointe bien les insuffisances de certaines évaluations et indique la voie à prendre. Il faudra s'engager sur la valeur thérapeutique relative et modifier certains paramètres de ce critère. En tout cas, ce rapport peut servir de base aux orientations qui seront inscrites dans les ordonnances prévues à l'article 166, actuellement rédigées par la direction de la sécurité sociale, très impliquée dans l'évaluation des médicaments.

Le tabac, responsable de 77 000 morts par an, c'est aussi ma bataille. À l'INCa, j'ai beaucoup lutté contre le tabagisme en attaquant non les fumeurs, mais l'industrie du tabac. Si je ne peux pas, aujourd'hui, les identifier dans le détail, je sais que la HAS dispose de tous les outils nécessaires – accréditations, certifications, bonnes pratiques, recommandations – pour lancer des actions spécifiques susceptibles d'aider cette lutte, au niveau des établissements comme des pratiques professionnelles. Certes, la HAS est depuis sa création positionnée sur la qualité et la sécurité des soins et des pratiques ; pour autant elle a également une mission en santé publique en faveur de la prévention. Il s'agit d'un enjeu d'avenir, que je souhaite développer. En effet, si je ne devais retenir qu'une seule action du troisième plan cancer, ce serait la prévention. Ne pas suffisamment axer les professionnels de santé sur ces enjeux représente un véritable défaut de notre société française.

Monsieur Door, le NICE est une agence qui produit des avis de grande qualité. Son modèle n'a pas été imité en France puisque nous n'avons pas souhaité fixer de seuil au coût annuel des médicaments. Les missions du NICE sont bien plus resserrées que celles de la HAS, avec un budget pourtant bien supérieur : 80 millions d'euros contre 58 millions. Il dispose également d'un nombre supérieur d'équivalents temps plein (ETP) : plus de 570 contre moins de 400 pour la HAS. Il peut enfin mobiliser énormément de ressources auprès des chercheurs spécialisés dans les aspects médico-économiques, relativement peu développés dans notre pays. Il faudra, dans les années à venir, solliciter les acteurs de la recherche pour nous aider à promouvoir l'évaluation dans ce domaine. Le NICE représente donc un modèle, mais il ne peut pas être totalement copié. Nous ne nous engagerons pas en faveur d'un seuil limite pour l'autorisation de financement des médicaments. Je rappelle à ce propos que le taux de survie au cancer en France est l'un des meilleurs en Europe ; en Angleterre, les patients atteints de cancer ont 10 % de chance de survie en moins à l'horizon de cinq ans, pour quasiment tous les cancers. Cela signifie que l'organisation anglaise de l'accès aux soins et peut-être aux médicaments a un impact sur la survie des malades. Il ne faut pas l'oublier en définissant notre modèle et en arrêtant nos choix stratégiques.

Madame Massonneau, l'évaluation de l'efficacité et de l'innocuité des médicaments est une mission de l'ANSM ; la HAS s'intéresse plutôt au service médical rendu. Pour ce qui est de la transparence des avis, on reproche à certaines commissions de la HAS de ne pas donner suffisamment d'éléments objectifs de l'évaluation ; un travail devra être mené sur l'objectivation des avis. Quant à la transparence des conflits d'intérêts, la loi de 2011 est parfaitement mise en oeuvre à la HAS.

Madame Orliac, le défaut de prises de position de la HAS représente à l'évidence un enjeu, mais il faut éviter que l'agence ne prenne des positions attaquables. Je prendrai donc position sur des débats sociétaux lorsque j'aurai suffisamment d'arguments scientifiques pour me déterminer. Le président de la HAS ne doit pas prendre la parole sur tous les sujets afin de ne pas dévoyer l'autorité de l'institution. Il ne s'agit pas d'engager la HAS dans une course en avant de communication pour la faire connaître. Il y a donc un équilibre à trouver. Plusieurs questions ont porté sur la visibilité de l'agence : pour moi, sa reconnaissance ne doit reposer que sur la qualité scientifique et le caractère inattaquable de ses avis.

Monsieur Richard, vous m'avez interrogée sur le rôle de la présidente de la HAS et la place des membres du collège dans la gouvernance de l'institution. Le collège de la HAS doit prendre position sur des enjeux stratégiques. Actuellement, les commissions rendent beaucoup d'avis, mais c'est l'ensemble des membres du collège qui doit se prononcer sur les grandes questions telles que l'évaluation et la prise en charge des médicaments, et assumer publiquement ces positions. Mon rôle de présidente – qui n'est qu'un des membres du collège – sera d'animer cette réflexion collective en essayant de la rendre la plus stratégique possible.

En ce qui concerne les relations entre agences européennes, mon prédécesseur Jean-Luc Harousseau a beaucoup développé l'action de la HAS à l'international. L'institution a un rôle moteur dans ces échanges, et son action est pleinement reconnue. Je poursuivrai cet engagement car en matière de coût des médicaments, la réflexion ne saurait aujourd'hui se cantonner uniquement à l'échelle nationale. C'est un problème qu'un pays ne peut traiter qu'en lien avec les autres membres de la communauté européenne.

Madame Khirouni, s'agissant des mesures d'accompagnement et de suivi de la mise sur le marché des médicaments, à l'INCa et sans doute à la HAS, lorsqu'on formule des recommandations de bon usage, on se demande sans cesse à quel point elles sont appropriées par les professionnels. C'est un enjeu qui concerne toutes les agences de régulation. Mon idée consiste à mobiliser des instances telles que l'ANSM sur le suivi en vie réelle de l'usage des produits, car nous ne pourrons pas nous contenter de rendre des avis sans pouvoir rectifier le tir dans les évaluations ultérieures.

Monsieur Lurton, la HAS ne pourra s'imposer que par la science, la rigueur et des prises de position publiques sur des enjeux sociétaux. Comme je l'ai souligné dans mon propos liminaire, il faut nous mettre d'accord sur les moyens de base qui seront alloués à la l'agence. Quant à la représentation des usagers, c'est un sujet qui me tient très à coeur. J'ai énormément développé la démocratie sanitaire dans les instances de l'INCa, et au-delà, dans le monde de la cancérologie. Impliquer les usagers est aussi une façon d'améliorer la pratique des professionnels. Vous pouvez donc compter sur moi pour que la représentation des usagers se fasse dans toutes les commissions. Nommer un représentant des usagers au collège de la HAS serait également une initiative bienvenue.

S'agissant de la décision de priorisation des avis dans le programme de travail de la HAS, il faut savoir que l'agence travaille sur énormément de saisines des directions de l'administration centrale ; même si le pouvoir politique est absent des avis, le ministère sollicite la HAS en matière de remboursement d'actes ou de produits. L'agenda est donc partiellement dicté par les besoins de la CNAM et des directions de l'administration centrale. Le reste des avis dépend de la réflexion du collège – qui agit comme un conseil d'administration – et des commissions spécialisées.

Monsieur Accoyer, la question de la compétence des experts est un sujet qui revient en boucle dans les agences d'expertise sanitaire. La qualité de l'expertise est fondée sur la compétence et l'indépendance des experts, et sur la transparence des avis – un trépied fondamental. En ce moment, la loi « post-Mediator » nous rend particulièrement attentifs à l'indépendance – et je crois que c'est positif –, mais il faut également tenir compte des besoins en compétence. Pour cela, à la HAS comme ailleurs, il existe des procédures : s'ils présentent des conflits d'intérêts forts, les experts qui ne font pas partie des commissions sont auditionnés. Nous avons donc des moyens de prendre en compte leurs compétences. Ces démarches sont actuellement très bien cadrées dans les agences d'expertise.

En ce qui concerne le post-modernisme, ma vision à la HAS sera non idéologique. L'idéologie n'a pas sa place dans une agence d'expertise scientifique ; je serai donc extrêmement rigoureuse dans l'analyse de la littérature et l'examen des preuves. C'est en me basant sur ces éléments que je rendrai des avis, sans prendre aucune position a priori sur aucun sujet.

Monsieur Leonetti, la pertinence des actes est un sujet très important auquel je suis sensible depuis de nombreuses années. Étant donné la difficulté de l'exercice médical, c'est une démarche d'incitation et non de coercition qu'il faut adopter pour améliorer les pratiques des professionnels de santé. Cette profession doit garder une forme d'indépendance, mais l'on peut la guider via des travaux sur la pertinence des actes. C'est un enjeu d'avenir.

Enfin, je veillerai à introduire les questions d'éducation sanitaire et de prévention dans la totalité des processus mis en oeuvre à la HAS afin de renforcer sa capacité à améliorer le service rendu global en santé dans notre pays.

Monsieur Perrut, n'étant pas actuellement à la HAS, je ne connais pas les résultats de l'appel à vidéos. Mais l'implication des usagers et l'expérimentation faisaient partie des objectifs du troisième plan cancer qui affirmait la nécessité de partir des expériences de terrain de démocratie sanitaire pour améliorer les pratiques. Je continuerai dans ce sens à la HAS.

Madame Le Callennec, l'accident survenu lors de cet essai de phase 1 nous a énormément émus et choqués. Je suis fondamentalement convaincue que notre société ne peut pas se priver des essais thérapeutiques, pour lesquels des autorités telles que l'ANSM donnent leur feu vert. L'enquête montrera si un défaut dans le protocole peut expliquer cet accident, mais celui-ci ne me paraît pas de nature à remettre en cause le fait de pratiquer des essais cliniques chez l'homme. Y renoncer nous enfermerait dans un statu quo inacceptable par rapport aux progrès médicaux.

Monsieur Dord, je suis très sensible aux questions d'éducation à la santé. Avoir participé au Conseil supérieur des programmes m'a permis d'insuffler quelques recommandations en ce sens dans les programmes scolaires. Je continuerai à promouvoir la prévention au sens large à travers les actions de la HAS.

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