Intervention de Christian Estrosi

Réunion du 27 janvier 2016 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Estrosi, rapporteur :

Madame la présidente, c'est avec plaisir que je retrouve les bancs de cette commission où j'ai fait mes premiers pas à l'Assemblée nationale.

Si j'en crois les dernières annonces du Gouvernement, l'apprentissage est devenu une priorité de la majorité : c'est là un revirement dont je me réjouis. En effet, lorsque j'ai déposé cette proposition de loi, cosignée par plus de quatre-vingts collègues, j'étais motivé par l'évolution constatée dans ce domaine depuis 2012 : le nombre d'apprentis a chuté d'environ 60 000 – ils ne sont que près de 400 000 en France, contre un million et demi en Allemagne – alors que le chômage des jeunes atteint chez nous 25 % contre seulement 7 % en Allemagne. L'objectif du Gouvernement est d'atteindre 500 000 apprentis en 2017. C'est dans ce sens que va cette proposition de loi qui cherche à dépasser les clivages partisans pour permettre le développement de l'apprentissage. Je crois en l'apprentissage : c'est une filière d'excellence, de réussite et d'avenir – 70 % des apprentis trouvent directement un emploi à la fin de leur formation –, une filière sur laquelle nous devons miser pour réduire le chômage des jeunes.

On ne saurait se satisfaire de l'état actuel du droit : le changement des mentalités qu'il faudrait opérer est tellement considérable qu'une loi comme celle-ci ne me paraît pas superflue. D'aucuns argueront qu'à partir de 2014, le Gouvernement a essayé de redonner un souffle à l'apprentissage, mais les mesures prises restent insuffisantes pour contrecarrer la crise qui affecte ce domaine. Fin août 2015, à peine 390 300 jeunes étaient inscrits dans une formation d'apprentissage, contre 438 000 en 2012. Devant ce constat, je vous propose de nous rassembler derrière notre proposition de bon sens et de nous mobiliser en faveur d'une politique ambitieuse visant à promouvoir cette filière.

Nos propositions se situent à l'échelon régional ; non seulement les régions détiennent depuis longtemps la compétence en matière de mise en oeuvre des actions de formation professionnelle continue et d'apprentissage, mais je suis persuadé qu'il s'agit également de l'échelon le plus approprié pour développer l'offre de formation et organiser la rencontre entre les acteurs concernés. L'apprentissage ne pourra croître que si nos régions marchent main dans la main avec l'État.

Je propose, à l'article 1er, que la région pilote l'ensemble de la formation professionnelle initiale et devienne l'interlocuteur unique de la filière. Aujourd'hui, de multiples acteurs s'en occupent, mais aucun n'est responsable directement. Cette évolution serait cohérente avec l'article L. 214-12 du code de l'éducation qui dispose que la région « est chargée de la politique régionale d'apprentissage et de formation professionnelle des jeunes et des adultes à la recherche d'un emploi ou d'une nouvelle orientation professionnelle ». La région est déjà chargée d'élaborer le contrat de plan régional de développement des formations et de l'orientation professionnelle qui, aux termes de l'article L. 214-13 du code de l'éducation, « a pour objet l'analyse des besoins à moyen terme du territoire régional en matière d'emplois, de compétences et de qualifications et la programmation des actions de formation professionnelle des jeunes et des adultes, compte tenu de la situation et des objectifs de développement économique du territoire régional ». Avec cet article, je souhaite permettre à la région de décider de la création de lycées professionnels en fonction des besoins identifiés sur son territoire, comme elle le fait déjà pour les centres de formation d'apprentis (CFA), à travers les conventions. Un amendement permettra ainsi à la région d'arrêter la carte régionale des formations professionnelles initiales sans que l'accord du recteur soit nécessaire. La région serait également chargée d'ouvrir et de fermer les sections de formation professionnelle initiale sous statut scolaire – compétence aujourd'hui dévolue aux autorités académiques. L'objectif est de rendre l'offre de formation mieux adaptée aux besoins économiques locaux en optimisant l'organisation et la carte des formations. Je souhaite à terme que les régions encouragent la fusion des CFA et des lycées professionnels afin de tendre vers la création de centres d'apprentissage professionnel régionaux, ce qui assurerait tout à la fois une meilleure lisibilité et des économies budgétaires substantielles.

L'article 2 tend à la création de banques régionales de l'apprentissage. Il est nécessaire de se doter d'outils permettant une meilleure mise en relation des jeunes à la recherche d'un employeur et des entreprises qui souhaitent recruter un apprenti. La feuille de route adoptée à l'issue des assises de l'apprentissage en septembre 2014 va dans le bon sens, notamment grâce à la création d'une bourse Web nationale de l'apprentissage, abritée par Pôle emploi, qui a pour mission d'agréger les offres d'emploi en apprentissage. Mais le résultat est maigre car cette plateforme reste méconnue. C'est l'échelon régional, et non national, qui est le mieux à même de répondre avec efficacité aux offres et aux demandes ; c'est lui qui permet d'appréhender le mieux la réalité économique du territoire et qui donne le plus de chances à chacun des acteurs d'obtenir satisfaction.

Concrètement, chaque région serait libre d'organiser la banque de l'apprentissage comme elle le souhaite, par exemple en mettant en place des outils numériques ou en organisant des salons thématiques et des moments d'échange entre les entreprises et les jeunes désireux d'entreprendre un cursus en apprentissage. J'avais par ailleurs déposé un amendement visant à rendre ce dispositif obligatoire ; mais comme il créait une charge, il a été déclaré irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution. L'adoption par le législateur d'une telle proposition permettrait de donner une impulsion symbolique non négligeable au développement d'initiatives régionales, répondant ainsi aux objectifs de la majorité actuelle : favoriser le développement de l'apprentissage et renforcer le rôle des régions en matière de développement économique.

Pour aider les régions à promouvoir cette nouvelle voie d'excellence, nous devrons mieux encadrer et revaloriser cette filière ; c'est le sens de l'article 3 qui vise à permettre aux jeunes de découvrir le monde de l'entreprise dès l'âge de quatorze ans, et à les faire bénéficier des mêmes droits que les salariés. Je m'inscris dans le sillage du dispositif initié par Gérard Cherpion en 2011, mais que Vincent Peillon a sacrifié en 2013 sur l'autel de l'idéologie dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République. Quelle erreur, quand on sait que c'est vers l'âge de quatorze ans que plusieurs milliers de jeunes décrochent du système scolaire ! Mon idée est de faciliter la vie de chacun – apprentis et chefs d'entreprise – afin de permettre à ceux qui le souhaitent de bénéficier de l'apprentissage dès quatorze ans. Tous les acteurs s'accordent à dire que le droit est aujourd'hui excessivement complexe et doit évoluer. Mais cette mesure n'est pas incompatible avec l'obligation d'éducation et d'instruction des jeunes jusqu'à seize ans : c'est un principe républicain auquel je suis très attaché. L'adolescent doit conserver son statut d'élève ; aussi tout apprentissage de quatorze à seize ans doit-il obligatoirement s'effectuer en alternance, afin que le jeune poursuive ses études tout en ayant un pied dans le monde du travail. L'apprenti pourrait par exemple passer trois jours par semaine en entreprise et deux jours en classe. Le seul objectif que nous devons poursuivre, c'est la bonne orientation et la réussite de nos élèves. J'ai donc déposé un amendement de précision concernant le statut du jeune, qui doit pouvoir choisir dès quatorze ans une filière de réussite tout en restant dans un cadre juridique sécurisant. En effet, il est grand temps que nous considérions l'apprentissage comme un mode de formation classique.

Enfin, cet article propose de faire bénéficier les apprentis des mêmes conditions de travail que les autres salariés, dans une démarche gagnant-gagnant, puisque cela permettrait à l'apprenti d'effectuer les tâches nécessaires à sa formation et inciteraient le chef d'entreprise à lui confier des missions. S'agissant des travaux dangereux pour la santé ou la sécurité des apprentis, en l'absence de décret d'application, la procédure dérogatoire prévue par l'article L. 6222-31 est restée lettre morte, donnant lieu à nombre de situations regrettables. Ainsi, certains apprentis – comme les charpentiers – ne peuvent apprendre correctement leur métier faute de pouvoir accomplir certains travaux. C'est pourquoi l'article 3 vise à inscrire dans la loi que tout apprenti doit bénéficier des mêmes conditions de travail que les autres salariés de l'entreprise dans laquelle il travaille. Je vous soumets également un amendement précisant que des accords de branche étendus définiraient les métiers pour lesquels les apprentis pourront accomplir tous les travaux nécessaires à leur formation.

Dans un contexte économique dégradé, les jeunes de notre pays rencontrent les plus grandes difficultés à entrer sur le marché du travail. Quand l'avenir de notre jeunesse est en jeu, il ne doit plus y avoir de clivages, mais des femmes et des hommes qui cherchent ensemble des solutions concrètes pour répondre le mieux possible aux enjeux actuels. Le développement de l'apprentissage représente un outil efficace d'insertion professionnelle des jeunes ; l'adoption par le législateur d'un texte qui incite à son développement régional enverrait un message extrêmement fort à l'ensemble des acteurs économiques concernés.

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