Intervention de Christian Estrosi

Réunion du 27 janvier 2016 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Estrosi, rapporteur :

Au nom du groupe Socialiste, républicain et citoyen, Mme Iborra a commencé par dire que cette proposition de loi lui paraissait intéressante, qu'elle transcendait les clivages idéologiques… avant de n'y répondre que par de l'idéologie. Je le regrette très sincèrement. Et si j'ai présenté des amendements, c'est en raison de ce qui s'est passé depuis le dépôt de cette proposition, signée par plus de quatre-vingts parlementaires : le 16 janvier dernier, lors de ses voeux à la presse, le Président de la République a tendu la main aux nouveaux exécutifs régionaux et les a invités à lui faire un certain nombre de propositions consensuelles et non idéologiques. Nous le rencontrerons d'ailleurs mardi prochain pour en parler. Il se trouve que le calendrier de la commission des affaires sociales de notre assemblée nous offre l'opportunité de chercher les voies du consensus auquel il nous invite pour réduire le taux de chômage des jeunes. Par ces amendements, je saisis la main tendue par le Président de la République, et je trouve bon qu'il appelle les régions à y oeuvrer.

Peut-être n'avons-nous pas fait le tour du problème, chère collègue, mais, pour ma part, j'ai été président d'un conseil général, maire d'une grande ville et président d'une métropole, j'accompagne des CFA, des lycées professionnels. Depuis le 18 décembre, date de mon élection à la présidence de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, je n'ai pas perdu de temps : j'ai rencontré le monde professionnel, les chambres consulaires, les fédérations syndicales, des artisans, des commerçants. Que m'ont-ils dit ? Dans ma région, 25 000 offres d'emploi ne sont pas pourvues, les plans de formation de la région ont trois ans de retard sur leurs besoins, car le conseil régional n'a jamais associé le monde de l'entreprise à leur élaboration – je ne fais là que répéter les propos tenus par le monde des entreprises.

Le moment est peut-être crucial, pour notre pays : c'est la majorité qui, aujourd'hui, invite tous les présidents d'exécutifs, proches d'elle ou issus de l'opposition, à faire des propositions, en se déclarant prête à fournir des financements, à permettre des expérimentations. Le groupe Les Républicains a déjà fait d'ambitieuses propositions au cours des dernières années. Nous ne sommes pas là pour engager une bataille de chiffres, mais, quoi que vous en disiez, le nombre d'apprentis dans notre pays n'a cessé de chuter depuis 2012. Les chiffres sont là, rudes pour l'exécutif, qui porte une part de responsabilité – il en prend lui-même conscience. S'il tend la main, c'est pour essayer d'inverser le cours de choses. Voilà pourquoi j'ai le sentiment que vous me répondez par de l'idéologie. Il n'y a de ma part ni ignorance, ni mauvaise foi ; oui, j'assume ma fonction, je rencontre les acteurs depuis plusieurs semaines et nous travaillons déjà – nous n'avons pas de temps à perdre – sur les premiers plans de formation que nous soumettrons à nos assemblées délibérantes au cours des deux mois qui viennent.

Non, il n'est pas question d'écarter le recteur, contrairement à ce que vous dites ; je propose seulement de permettre à la région d'arrêter la carte régionale des formations professionnelles initiales sans que l'accord du recteur soit nécessaire. Ce n'est pas là écarter l'éducation nationale. La préparation des plans de formation doit donner lieu à un débat collectif entre l'éducation nationale, le monde de l'entreprise, la collectivité territoriale, les centres de formation dans leur ensemble. L'éducation nationale doit y prendre toute sa part, mais si l'on veut se placer dans un véritable esprit de décentralisation, ce n'est pas au recteur de donner son accord in fine, mais à la collectivité régionale, qui finance les formations, de prendre les décisions.

Mme Le Callennec, dont nous connaissons l'expérience dans ce domaine, a rappelé comment les primes ont été supprimées et les contrats aidés délibérément privilégiés. Il n'y a là aucune posture idéologique de notre part : j'ai envie de regarder l'avenir, pas le passé, mais c'est vous qui nous y obligez : en 2011, l'État a cosigné avec toutes les régions de France un contrat visant à quasiment doubler le nombre d'apprentis. Les efforts financiers devaient être assumés à parts égales par l'État et par les collectivités régionales. Or, malgré les sommes allouées pour doubler leur nombre, il y a moins d'apprentis aujourd'hui qu'en 2011 ! Je ne dispose pas encore de tous les éléments pour démontrer que cet argent a été utilisé pour financer surtout des contrats aidés et non l'apprentissage auquel il était destiné ; reste, le fait est avéré, que 90 % des contrats aidés financés finissent en impasse alors que 70 % des apprentis trouvent un véritable emploi. Sans aller jusqu'à supprimer totalement les contrats aidés et les contrats d'avenir, peut-être faudrait-il rééquilibrer les financements au profit des dispositifs qui garantissent une formation à de vrais emplois.

La loi sur le préapprentissage de notre ami Gérard Cherpion préservait le rôle de l'éducation nationale tout en offrant aux jeunes la possibilité, dès l'âge de quatorze ans, de se tourner vers un métier, de réfléchir à leur orientation. Cela s'adressait surtout à des jeunes pratiquement en situation de décrochage scolaire ; or c'est justement entre treize et quatorze ans que ces cas se rencontrent le plus souvent. Il est dommage que ces dispositions aient été abrogées par la loi de 2013. Alors que l'on appelle, comme l'a dit Isabelle Le Callenec, à l'unité nationale pour lutter contre le chômage des jeunes, qui sont les plus durement touchés par ce phénomène – 25 % ! –, ne nous enfermons pas dans une vision par trop idéologique, au risque de laisser s'instaurer un débat clivant que personne ne comprendrait.

À M. Cavard qui s'étonnait de ne pas retrouver tel ou tel de nos collègues dans les noms des signataires de la proposition de loi, je réponds que le groupe Les Républicains a voté à l'unanimité l'inscription à l'ordre du jour de cette proposition de loi. Il n'y a donc pas de débat entre nous, nous y sommes tous favorables.

Vous trouvez contestable l'idée de mettre un apprenti dans les mêmes conditions de travail qu'un salarié, cher collègue ; mais comment voulez-vous qu'un chef d'entreprise ait envie d'accueillir un apprenti s'il lui est interdit de monter sur une échelle ou encore de mettre la pâte dans le four à pain d'une boulangerie-pâtisserie ? Si vous voulez inciter le monde de l'entreprise à se tourner davantage vers l'apprentissage, donnez-lui la possibilité d'accueillir les apprentis en alternance dans les mêmes conditions de travail que les salariés. Ils se formeront alors bien mieux et bien plus rapidement, et la filière sera beaucoup plus attractive.

Au nom du groupe UDI, M. Richard a rappelé que cette proposition de loi répondait à une grande attente des entreprises. Elles veulent effectivement pouvoir accueillir plus d'apprentis – cela vaut aussi pour les entreprises publiques. Ma propre collectivité compte aujourd'hui 6 000 salariés et, alors que nous assumons la charge de la formation initiale qualifiante, nous n'avons fait appel, ces dernières années, qu'à huit apprentis ! Les entreprises du secteur public ont elles aussi le devoir de se tourner aussi vers cette filière. Et ce texte répond, cher Arnaud Richard, à votre souhait de rationalisation des CFA et de la formation professionnelle. Cela peut effectivement permettre une optimisation des formations comme des dépenses.

Mme Bulteau a souhaité que l'apprentissage soit une formation choisie et non subie, mais cette proposition de loi peut précisément offrir à des jeunes en décrochage scolaire une formation et un avenir. Face à cette jeunesse en désespérance, qui n'a envie de rien, qui ne veut s'engager dans rien, nous devons traiter chaque cas de manière individuelle, essayer de comprendre les goûts et de connaître les appétences de chacun. La filière de l'apprentissage peut sortir un certain nombre de jeunes de l'impasse dans laquelle ils sont enfermés.

Tout comme vous, madame, je veux sortir des querelles de chiffres – quand bien même ils nous donnent plutôt raison – pour n'en retenir qu'un seul : l'objectif de 500 000 contrats d'apprentissage énoncé par le Président de la République. Tournons-nous ensemble vers l'avenir plutôt que de nous envoyer à la figure les chiffres du passé. Et si vous-même n'êtes pas hostile à un transfert de la gestion des lycées professionnels aux régions, eh bien, allons-y, faisons-le. Ce n'est pas un argument de campagne, nous avons dépassé cela ; l'exécutif nous invite à faire des propositions, nous répondons à son invitation.

M. Delatte a relevé la pertinence du dispositif proposé pour nos entreprises et la nécessité de revaloriser l'image dépréciée de l'enseignement professionnel. Moi non plus, je n'accepte pas que l'on continue à prétendre qu'il y aurait, dans notre pays, des filières d'excellence – l'université, les classes préparatoires, etc. – et que la formation professionnelle n'en fasse pas partie. Une formation professionnelle, qui mène à un CAP, à un BEP, à un diplôme de niveau bac +2 ou bac +3, à un diplôme d'ingénieur, c'est bel et bien une formation d'excellence, et que l'on peut de surcroît proposer à un jeune en situation de décrochage scolaire. Arrêtons de dévaloriser l'enseignement professionnel. Et notre collègue a parfaitement raison de rappeler que ce sont les collectivités régionales qui sont les plus à même d'évaluer les besoins de formation des bassins d'emploi en fonction de leurs spécificités.

M. Liebgott a rappelé la faiblesse de la culture de l'apprentissage dans notre pays, notamment lorsque nous le comparons à l'Allemagne. Il nous est traditionnellement plus difficile de créer des synergies entre les collectivités et les mondes de l'entreprise et de l'éducation. Notre responsabilité d'acteurs publics est d'inculquer dans la conscience collective et d'intégrer à notre culture la nécessité de trouver des voies d'avenir à notre jeunesse.

M. Perrut a réaffirmé sa volonté de défendre l'alternance et l'apprentissage pour garantir un emploi durable. Rappelons qu'il était un des auteurs, avec MM. Cherpion et Taugourdeau, de la proposition de loi de 2011. Sans faire preuve d'idéologie, nous pouvons constater que les mesures proposées par M. Peillon en 2013 ont privé d'effet les dispositions de ce texte, et le Président de la République lui-même l'a reconnu, et fait le constat que la loi de 2013 était un échec. Pourquoi ne tenterions-nous pas de revenir à ce qui était une loi de réussite en 2011, en l'enrichissant des contributions de chacun et en y intégrant les effets de la loi NOTRe – qui n'est pas la nôtre, d'ailleurs… –, qui place les régions en position stratégique ?

Il faut aussi poser la question du financement, puisque si le Président de la République annonce 2 milliards d'euros, nous ne savons pas sur quelle ligne budgétaire nous pourrions les trouver.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion