Intervention de éléonore Stévenin-Morguet

Réunion du 19 janvier 2016 à 13h45
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

éléonore Stévenin-Morguet, représentante de l'association Osez le féminisme :

Osez le féminisme a mené deux campagnes, l'une contre le viol, intitulée « La honte doit changer de camp ! », et l'autre sur le féminicide. Sur cette deuxième question, nous constatons que les choses bougent peu, puisque le nombre de femmes mortes sous les coups de leur conjoint – 134 en 2014 – ne diminue guère par rapport aux années précédentes. De surcroît, pour 40 % de ces femmes décédées sous les coups de leur conjoint, la justice savait qu'elles étaient victimes de violences, puisqu'elles avaient déjà porté plainte ou déposé une main courante. Ces deux constats nous poussent à nous interroger sur la responsabilité de l'État, dont on a l'impression qu'il ne protège pas assez les femmes victimes de violences conjugales.

Par conséquent, s'agissant de la légitime défense, l'État est d'une certaine manière complice de l'assassinat des femmes par leur mari – ou des hommes par leur femme – à l'issue de plusieurs années de violences. Certes, la présomption de légitime défense – selon laquelle toutes les femmes victimes de violences conjugales seraient en situation de légitime défense – est une question assez compliquée. En revanche, comme la FNSF, nous sommes d'accord avec la notion d'antériorité de la menace, introduite par le législateur canadien. Cette antériorité de la menace parmi les facteurs de présomption de la légitime défense conduirait à prendre en compte durant le procès les violences conjugales subies par une femme pendant des années, comme c'est le cas pour Jacqueline Sauvage, victime de violences durant quarante-sept ans.

Sur le féminicide, notre campagne de 2014 se voulait spécifique, puisque le meurtre d'une femme à raison de son sexe est une spécificité : les 134 femmes qui meurent chaque année sous les coups de leur conjoint sont tuées parce qu'elles sont femmes. Au demeurant, la violence machiste dans le monde est la première cause de mortalité des femmes de seize à quarante-quatre ans : meurtres de filles à la naissance, crimes d'honneur, femmes tuées par leur conjoint ou par des inconnus dans la rue. Plusieurs pays proches de nous, dont l'Italie et l'Espagne, ont choisi de reconnaître le féminicide pour plusieurs raisons : c'est un meurtre spécifique, un crime ignoré ou banalisé, et qui peut être évité. Pour nous, le féminicide doit donc être reconnu dans la loi comme facteur aggravant, d'autant qu'il permettrait aussi de mettre en place des dispositifs spécifiques en termes de prévention.

J'ajoute qu'à la lumière d'affaires récentes, on a l'impression que le fait pour un homme de tuer sa femme est plus un facteur atténuant qu'aggravant – Bertrand Cantat a écopé d'une peine très faible, comparée à celle de Jacqueline Sauvage, condamnée à dix ans de prison, par exemple. C'est pourquoi nous préconisons une étude comparée des peines entre les hommes et les femmes.

Enfin, nous pensons que la formation des professionnels, au premier rang desquels les magistrats, doit être développée. En Espagne, par exemple, une loi contre les violences conjugales a permis la création de tribunaux spécialisés dans ces violences spécifiques.

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