Intervention de Marilyn Baldeck

Réunion du 19 janvier 2016 à 13h45
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Marilyn Baldeck, déléguée générale de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, AVFT :

Avant de s'interroger sur l'introduction du féminicide dans le code pénal, il serait intéressant de remettre à plat la question des circonstances aggravantes inscrites dans le code pénal à raison de l'identité ou de caractéristiques des personnes.

Il est en effet plus grave aujourd'hui de tuer un homme parce qu'il est homosexuel, juif, catholique ou musulman, que de tuer une femme parce qu'elle est une femme. Le législateur a profité de la loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, votée au bénéfice des femmes, pour aggraver le crime d'homicide volontaire à raison, non du sexe, mais de l'identité de genre. Ainsi, tuer une femme parce qu'elle est une femme n'est pas puni de la réclusion criminelle à perpétuité, contrairement aux crimes prévus à l'article 221-4 du code pénal : meurtre d'une personne à raison de son orientation sexuelle ou de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion, notamment.

Les peines prévues pour d'autres crimes et d'autres délits sont alourdies en raison de ces circonstances aggravantes, à l'exception du sexe : le vol, la séquestration, les actes de torture et de barbarie.

Plus grave : tous les délits et crimes à caractère sexuel sont aggravés à raison de l'orientation et de l'identité sexuelle, de l'appartenance ou de la non-appartenance vraie ou supposée de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Mais le viol et l'agression sexuelle ne sont pas aggravés à raison du sexe.

En clair, le législateur français nie le principe même du délit ou du crime sexiste, puisque les femmes, qui sont les premières concernées, ne bénéficient pas des circonstances aggravantes à raison du sexe. Notre association a développé cette analyse depuis 2004, après la présentation par M. Raffarin d'un projet de loi visant à aggraver les injures et les diffamations à raison de l'orientation sexuelle, et non à raison du sexe.

Douze ans plus tard, cette analyse des circonstances aggravantes du code pénal est toujours d'actualité.

Cette discussion est assez désagréable pour les féministes que nous sommes car le législateur nous met en position de revendiquer un alignement des droits des femmes sur ceux d'autres catégories de personnes, alors que les femmes sont les premières victimes des délits et des crimes sexuels. Les circonstances aggravantes constituent donc pour nous une question de politique majeure. Faut-il rajouter une circonstance aggravante à raison du sexe pour aligner les droits des femmes sur ceux d'autres catégories de personnes ? La question est encore ouverte pour l'AVFT. Ne faudrait-il pas plutôt supprimer toutes les circonstances aggravantes afin de mettre tout le monde sur un pied d'égalité ? Ce serait peut-être une solution raisonnable.

Sur le féminicide, nous nous interrogeons. En effet, créer ce crime spécifique ne réglera pas la question des circonstances aggravantes pour les infractions autres que le meurtre. En outre, introduire ce crime spécifique ne présente un intérêt juridique que si les peines sont aggravées. Par ailleurs, cela augmenterait le travail de la partie civile en termes de preuves : la condamnation d'un homme pour féminicide nécessiterait de prouver tous les éléments constitutifs de l'infraction initiale, en plus du meurtre de la femme parce qu'elle est une femme. Cette question est donc, de notre point de vue, assez délicate.

Sur la légitime défense, on s'intéresse à cette question en cas de meurtre ou d'assassinat, mais il est intéressant de replacer ce débat de manière plus large. En effet, la question de la légitime défense se pose parfois dans les dossiers de notre association, qui défend les femmes victimes de violences à caractère sexuel dans le cadre du travail. Récemment, nous sommes intervenus aux côtés d'une femme qui avait jeté une bouteille de vin sur la tête de son chef cuisinier qui l'agressait sexuellement – il lui touchait les seins, tentait de l'embrasser de force. Tous deux ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel : lui a été condamné pour agression sexuelle, elle pour violences volontaires. Ainsi, la question de la légitime défense ne se pose pas seulement en cas de meurtre.

Pour nous, compter sur l'évolution de la société et la prise en considération de la question des violences faites aux femmes par les magistrats, c'est encore renvoyer cette question aux calendes grecques. En définitive, on fait toujours payer aux femmes le fait de se défendre : la définition de la légitime défense, telle qu'elle est prévue dans le code pénal français, ne permet pas de les protéger contre des condamnations. Par conséquent, l'AVFT préconise une réforme de la définition de la légitime défense, en s'inspirant du modèle canadien, très clair et très opérationnel.

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