Intervention de Christian de Perthuis

Réunion du 19 janvier 2016 à 16h30
Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Christian de Perthuis, professeur de l'Université Paris-Dauphine, titulaire de la chaire d'économie du climat :

L'avantage TVA dont ce type de véhicules bénéficie est, en effet, considérable. Quand je pilotais le Comité pour une fiscalité écologique, nous avions été invités à orienter notre attention non seulement vers la fiscalité des carburants, mais aussi vers la TVA applicable aux flottes professionnelles. En tout cas, la part des véhicules particuliers vendus à des flottes et des loueurs est en augmentation constante. Cette observation rejoint, me semble-t-il, les considérations sur l'achat de vieilles voitures par des jeunes.

Monsieur de Courson, la bonne neutralité fiscale suppose, en effet, de se fonder sur le contenu énergétique, et non sur le volume, des carburants. Il faut aller jusqu'à la parité. Plus précisément, dans la loi sur la transition énergétique, il est prévu que la valeur de la tonne de CO2 augmente jusqu'à s'établir à 100 euros en 2030. Cela correspond à une augmentation mécanique de 15 % de plus du diesel, plus riche en CO2 que l'essence classique. Mais il faut traiter séparément la question du CO2 et celle des pollutions sanitaires et locales.

Ces dernières ne peuvent être gérées en faisant seulement varier le coût du carburant. Il faut des mesures complémentaires, soit normatives, soit analogues au péage institué à Stockholm. S'agissant des normes, il est de notoriété publique que le système européen de normalisation ne reflète pas les conditions réelles d'utilisation des véhicules. Là est l'origine du scandale Volkswagen. Les États-Unis imposant des normes plus contraignantes, il était nécessaire, pour ainsi dire, de truander pour cette entreprise qui voulait entrer sur le marché américain. Nous ne devrions pas, de notre côté, connaître de scandale sur un logiciel français, car un constructeur comme PSA ne vend pas de véhicules aux États-Unis. Cette expérience nous apprend qu'il faut revoir la métrique pour la rapprocher des conditions réelles d'utilisation des véhicules, et adopter un dispositif de gouvernance qui reste à définir.

Au demeurant, compte tenu de la diversification attendue, il faudra élargir ce système de normes à tous les types de motorisation – essence, gaz, électricité –, tant pour les polluants locaux que pour le CO2. Même l'émission de CO2 liée aux véhicules électriques devra être calculée, dans une logique de prise en compte de la pollution « du puits à la roue ». Car si leur utilisation ne dégage pas de CO2, cela n'est pas le cas de leur production.

L'écart de fiscalité entre le diesel et l'essence n'est que la partie émergée d'une problématique plus complexe. Certes, la majorité des véhicules a basculé vers une motorisation alimentée par l'un ou l'autre de ces carburants, mais une transition est en cours vers d'autres types de motorisation. Nul ne peut dire à l'avance lesquels l'emporteront.

Les véhicules électriques ne sont certes pas taxés au titre de l'émission de CO2, mais la production carbonée de ces voitures est taxée par le système européen d'échanges de quotas de CO2. Il est aujourd'hui en fort mauvaise posture, puisque le prix du quota s'établit à 8 euros la tonne, même si ce prix remonte un peu. Cela va poser des problèmes dans les pays qui lèvent une taxe carbone nationale : en Irlande, en France, plus encore en Suède, où cette taxe est progressive. Nous allons observer un phénomène de ciseau, entre carburants soumis à une taxation carbone et carburants qui en resteront exemptés ; elle n'aura pas beaucoup de signification économique pour la filière.

Je conviens avec vous de l'anomalie que constitue la fiscalité du gaz. Mais la fiscalité des bioénergies est une anomalie plus grande encore. De manière ahurissante, la taxe carbone ne distingue pas entre le carbone d'origine fossile et le carbone d'origine biologique. Le biogaz, que nous commençons à valoriser en France avec beaucoup de retard, comporte du carbone à cycle court qu'il faut taxer différemment. Je crois que nous allons progresser en la matière.

J'observe, en deux mots, que derrière la question de la fiscalité de l'énergie se profile celle du financement des énergies renouvelables. Il faudra bien s'interroger sur la contribution au service public de l'électricité (CSPE), qui reporte sur une partie des consommateurs la charge de leur développement.

Monsieur Heinrich, les filtres sont, en effet, de plus en plus efficaces. C'est indubitable. Mais leur efficacité n'en est pas moins liée à leur mode d'utilisation et à leur entretien.

Je n'ai pas de compétence directe pour juger de l'impact que peut avoir sur la filière automobile une réforme de la fiscalité de l'énergie. Ne nous voilons pas la face : certaines filières d'approvisionnement automobile vont devoir se reconvertir, d'autres vont apparaître. L'industriel Bolloré a, par exemple, ouvert une nouvelle usine cette semaine. La question du rythme de l'évolution est cependant importante. Il me semble qu'une partie du produit fiscal supplémentaire doit effectivement financer la reconversion, car elle est toujours d'autant plus coûteuse qu'elle n'a pas été anticipée.

Monsieur Duron, je ne peux que partager votre avis sur l'abandon de l'écotaxe. Quant à l'usage qui doit être fait du produit de la fiscalité écologique, les économistes développent à son propos la notion de double dividende, parfois difficile à faire entendre au pouvoir politique, qu'il s'agisse de l'exécutif ou du législatif. Cette notion veut que l'augmentation de la fiscalité écologique aille de pair avec la baisse d'autres impôts. Cette baisse compensatoire doit elle-même porter sur les impôts pesant le plus sur la compétitivité des entreprises. C'est pourquoi une majorité d'économistes préconisent, non de réinjecter ces recettes nouvelles dans des politiques de transition énergétique, mais dans une baisse des charges qui pèsent sur le travail. Il s'agit cependant d'une règle qui peut ne pas être appliquée à 100 % : les économistes n'ont pas à se présenter devant les électeurs.

Aussi, les recettes nouvelles pourraient-elles en partie être dirigées vers un usage social. Les réformes fiscales sont, en effet, loin d'être neutres et renchérissent le coût de la vie. Or certains de nos concitoyens ne peuvent absorber cette hausse des coûts. Les recettes nouvelles pourraient aussi aller partiellement à la recherche et développement, et à des dépenses d'investissement en général, telles que des dépenses d'infrastructures. À cet égard, je vous avoue que je n'ai pas été horrifié de voir que le centime additionnel sur le gazole ait pu financer l'an dernier l'AFITF, même si, en économiste, j'aurais préconisé une baisse des charges sociales.

Monsieur Albarello, vous avez soulevé la question du biogaz. C'est sans doute dans ce secteur que l'on a fait le moins bien en France. J'avais eu l'occasion de me pencher sur le sujet lorsque je présidais le Comité pour la fiscalité écologique. Le système de tarification des déchets est complexe ; il n'envoie pas les bonnes incitations économiques. En ce domaine, la politique n'est pas suffisamment ambitieuse vis-à-vis du secteur agricole, qui a pourtant un incroyable potentiel de développement.

Beaucoup d'usages du gaz vont être favorisés, mais le résultat n'est pas le même, en termes écologiques, selon que le cycle de production du gaz biologique est court ou long. Il y a également beaucoup à faire dans le domaine de la mobilité. En zone urbaine, il apparaît que la tendance est favorable à la motorisation électrique. Mais, sur les longues distances, il n'y a pas beaucoup de solutions alternatives aux fossiles ; dans ce contexte, le biogaz est intéressant. En tout état de cause, la fiscalité du gaz naturel et du pétrole, énergies fossiles, doit être différente de celle du biogaz, qui constitue un substitut d'avenir possible à ces énergies, pour le transport de marchandises.

S'agissant de l'achat de vieilles voitures par des jeunes, je n'ai pas vu le reportage télévisé évoqué. Il est étonnant de constater que les plus de cinquante-cinq ans constituent désormais la majorité des acheteurs de véhicules neufs. Il n'y a plus de jeune pour acheter une voiture neuve. Le phénomène s'explique en partie par des aspirations différentes entre générations, mais aussi par les contraintes particulières auxquelles cette catégorie de la population se trouve soumise. Il y a pourtant des méthodes pour faire sortir du parc les vieux modèles de voiture, telles que la prime à la casse. Vu son coût pour l'État, cette dernière ne doit pas être employée de manière trop large, mais elle permettrait de retirer assez vite ces véhicules du parc automobile.

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