Myriam Benraad a fort bien expliqué l'enchevêtrement des logiques à l'oeuvre sur le terrain et démontré comment les chefs de tribus sunnites avaient un temps pu considérer que le pouvoir de nuisance de Daech pouvait leur être utile contre les chiites. Reste qu'ils doivent comprendre qu'ils ont plus de chances de parvenir à leurs fins dans le cadre d'un État fédéral que sous le drapeau noir. Mais, pour les en convaincre, les Occidentaux doivent empêcher, mieux que par le passé, le gouvernement chiite de les opprimer. Impliquer les acteurs locaux est essentiel, et c'est bien dans cette perspective que les Français ont travaillé avec les Américains à l'époque du général Dempsey.
Je suis d'accord avec Jean-François Daguzan pour répondre à Malek Boutih que participer à la deuxième guerre d'Irak n'aurait pas élargi, au contraire, nos marges de manoeuvre. Cette guerre illégitime a ouvert la boîte de Pandore. Il est préférable d'avoir opté, comme nous le faisons actuellement, pour des actions d'accompagnement. Ainsi, je rappelle qu'à Ramadi, l'unité la plus engagée, la fameuse « division dorée », a été formée par le détachement d'instruction opérationnelle (DIO) de la 13e demi-brigade la Légion étrangère, en particulier sur les engins explosifs improvisés (IED). Si la libération de la ville est loin d'être totalement acquise, il semble qu'elle soit en bonne voie et que le dispositif consistant à soutenir à distance les forces locales, appuyées en outre par les bombardements massifs de la coalition, fasse ses preuves.
En Syrie, le barrage de Tichrin a également été repris à Daech, et il est fort probable que la situation continue à évoluer dans les prochaines semaines. Ce qui doit, comme le soulignait Jean-François Daguzan, nous inciter à coordonner nos actions sur le territoire national et à l'extérieur, car les progrès accomplis sur les théâtres extérieurs peuvent augmenter les risques d'attentat en France, où l'on ne se sera pas mis en ordre de bataille.
En ce sens l'opération Sentinelle et le déploiement permanent de sept à dix mille militaires sont une bonne chose mais, la protection du territoire étant d'ordinaire du ressort de la police et de la gendarmerie, il est indispensable d'élaborer une doctrine d'emploi pour ne pas user les forces. Il est essentiel de ne pas faire des militaires des supplétifs de la police et de miser sur les avantages qu'offre l'armée sur le reste des forces de sécurité, à savoir sa capacité à assurer dans la durée une veille permanente et sa capacité à faire du contrôle de zone en quadrillant le terrain.
Pour ce qui concerne la Libye, la principale difficulté est d'intervenir efficacement et avec légitimité sur un terrain où s'affrontent les partisans de Fajr Libya, soutenus par le Qatar, et ceux du général Haftar soutenus par l'Égypte, sachant que cet antagonisme augmente dans les deux camps les chances d'alliances ponctuelles avec l'État islamique. Il est d'autant plus important de clarifier la situation que, si l'État islamique se retrouve acculé en Irak et en Syrie, c'est vers la Libye qu'il concentrera ses velléités d'expansion.
Au sujet des migrants, je dois admettre que j'ai d'abord commis l'erreur de ne pas voir que Daech pouvait les utiliser pour infiltrer des terroristes, ce qui prouve qu'ils sont particulièrement vicieux, car ce n'était pas le moyen le plus simple de les acheminer vers l'Europe. On ne les a pas vu partir, pas vu passer, pas vu arriver, ce qui fait beaucoup. Prenons garde dans certains cas à ce que notre bonne conscience ne nous aveugle pas.