Intervention de Jean-Marc Germain

Réunion du 14 janvier 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Marc Germain, rapporteur :

Madame, je vous remercie pour votre présence, et je renouvelle nos excuses pour avoir dû reporter notre premier rendez-vous. Mais l'analyse des chercheurs est pour nous très importante. Je considère même que, dans notre pays, on n'y accorde pas suffisamment d'importance.

À la fin du XXe siècle, l'apparition du chômage de masse – lié, selon moi, à la mondialisation – a marqué la fin d'une période de progrès social, où le paritarisme et la négociation collective fonctionnaient. On était dans une logique que certains ont qualifiée de « gagnant-gagnant », parce qu'il y avait des richesses à redistribuer. Cette période de l'après-guerre, celle des « Trente Glorieuses », a duré jusqu'en 1974. Les partenaires sociaux étaient très légitimes, et le retrait de l'État l'était tout autant, puisque les acteurs s'accordaient pour une solution « gagnant-gagnant », sans qu'il soit besoin de faire intervenir d'autres intérêts que ceux qui étaient liés à l'entreprise.

Puis la situation s'est compliquée et l'on est passé à une étape de « conservation ». Les accords ne sont plus « gagnant-gagnant » ; cela vaut pour la partie « salariés » comme pour la partie « entreprise ».

Vous n'avez pas évoqué un moment important, qui est un peu loin du sujet de notre rapport : la réforme Juppé de 1995, qui n'est plus une étape de conservation sur le plan du paritarisme, mais une étape où une partie majeure de ce qui était géré par les partenaires sociaux est revenue dans le champ de l'État.

En revanche, vous avez évoqué un moment auquel j'ai participé et qui allait au-delà de la question ponctuelle de l'assurance chômage – je pense notamment à la question de l'Unédic et au non-agrément par l'État d'une convention de l'Unédic – dans un climat où les trente-cinq heures avaient déclenché des initiatives du côté patronal. Je me souviens d'une négociation et d'une discussion à huis clos, où M. Kessler avait dit : « Si vous maintenez les 35 heures, nous allons faire exploser les branches, et tout reviendra à la négociation d'entreprise. » Cela s'est traduit par la démarche de la « refondation sociale ». Mais si je refais cette lecture, c'est pour dire qu'aujourd'hui, ce qui est au coeur de la réflexion de notre rapport, c'est la question de savoir comme concilier plusieurs éléments qui sont divergents.

Il nous paraît tout de même évident, et les premières auditions l'ont confirmé, que le fait que certains éléments de la protection sociale soient gérés par les partenaires sociaux assure au système une certaine efficacité. Ainsi l'assurance chômage, qui est confrontée à des défis énormes, parvient malgré tout à trouver des accords, à faire évoluer le système et à créer des éléments de progrès. Vous avez parlé tout à l'heure de la formation des demandeurs d'emploi. On pourrait citer aussi un certain nombre de dispositifs d'aide à l'embauche : en 1998, le plan d'aide au retour à l'emploi ; les programmes personnalisés de suivi des demandeurs d'emploi jusqu'à la fusion de l'Unédic et de l'ANPE pour essayer d'aider de manière plus globale les demandeurs d'emploi. De la même façon, malgré des transformations démographiques très importantes, le régime des retraites complémentaires a su parvenir à un certain équilibre ; il accumule des réserves et a pu encore, récemment, trouver un accord qui permet d'assurer l'avenir pour un certain temps.

En même temps, la transformation du monde du travail remet complètement en cause le modèle d'origine, celui de la grande entreprise dans laquelle on passe toute sa vie. Maintenant, on change d'emploi, on passe par des périodes de chômage, on « articule » des parcours, ce qui a des conséquences sur les retraites et sur les droits à la progression sociale. Et ceux qui ne sont pas représentés dans les organisations syndicales, on le sent, attendent d'être mieux pris en compte. Je vise là les demandeurs d'emplois, les retraités, et bien d'autres catégories de la population.

On constate aussi des éléments de recul en termes de prise en charge de la santé par le système étatique, ce qui crée un espace pour la prise en compte des systèmes restants. Mais on est dans le domaine de la santé, et pas directement dans le domaine du monde du travail.

Enfin, il y a ce que l'on appelle l'« ubérisation » de la société, transformation qui éloigne davantage encore de la réalité juridique du travail. En effet, de nombreux travailleurs exercent leur activité en dehors du code du travail et se trouvent a priori exclus du système. Et l'on sent bien qu'il est devenu nécessaire de faire preuve d'inventivité.

Après ce commentaire un peu global, j'en viens à mes deux questions.

Premièrement, est-ce que ce contexte historique, structurel, vous amène à penser que le système a su s'adapter et se stabiliser, et que le paritarisme a trouvé un espace un peu plus développé qu'il ne l'était au lendemain de la guerre ? Pensez-vous, au contraire, qu'une évolution un peu forte soit nécessaire ?

Deuxièmement, avez-vous été amenée, dans le cadre de vos travaux, à réfléchir sur l'organisation de l'économie relationnelle, numérique, de plateformes, telle qu'on la voit naître, notamment, avec Uber et Airbnb ?

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