Intervention de Bruno Mettling

Réunion du 14 janvier 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Bruno Mettling, directeur général adjoint en charge des ressources humaines au sein du groupe Orange :

La situation de monopole est une problématique centrale, mais je crois qu'il faut, en permanence, bien faire la différence entre les champs d'application du numérique et son impact sur le travail. Nonobstant la situation de ces nouvelles plateformes, qui, dans notre pays, ont tendance – à mon avis à tort – à cristalliser l'ensemble du débat sur l'impact du numérique, de nouvelles formes de travail indépendant se développent, et se développement massivement, dans le périmètre de l'économie traditionnelle. Certes, mon exemple allemand « fonctionne » très médiocrement sur des plateformes – temporairement – en situation de monopole, mais il s'applique très bien aux travailleurs free-lance qui s'installent, par centaines de milliers, dans des activités traditionnelles, comme l'interprétariat ou certaines contributions intellectuelles occasionnelles. Cette catégorie de travailleurs n'a pas le statut de salarié, mais elle contribue à l'activité des entreprises du secteur traditionnel et doit voir ses intérêts pris en compte, y compris à travers la régulation sociale que j'évoquais.

Il n'empêche que vous avez raison : ces nouvelles plateformes ont un succès planétaire, et leur situation de monopole ou de quasi-monopole complique grandement la régulation sociale. Cela m'amène à faire deux commentaires.

D'abord, je rappelle que certains acteurs majeurs du numérique exercent encore assez largement, sans que l'on ait pu l'empêcher, en franchise d'impôts et de taxes, et ce parce que la réalité de la contribution du service de celui qui participe à l'économie collaborative est extrêmement difficile à cerner – comme l'assiette fiscale nécessaire pour établir les droits. Or, dès lors que ces plateformes utilisent des travailleurs présents sur notre sol, l'information disponible est là, sous une forme pertinente, et susceptible de donner lieu à l'établissement de ladite assiette. C'est donc cela qu'il faut viser.

Ensuite, est-ce que c'est acceptable pour elles ? J'ai l'impression que oui. Les premiers exemples dont nous disposons, dans le secteur du tourisme, avec la taxe de séjour, montrent qu'un certain nombre d'entre elles ont accepté d'entrer dans cette logique. Croyez-moi, elles font la part des choses et je suis assez confiant sur leur capacité à jouer le jeu.

La troisième question que vous avez posée, en prenant pour exemple les heures de travail et la rémunération des VTC, est très difficile. Elle concerne certaines situations individuelles et le choc que celles-ci créent à notre économie, venant déstabiliser ceux qui, en face, sont assujettis à l'ensemble des exigences de notre droit social, et elle nous amène à nous interroger sur nos pratiques et notre socle social. Nous pouvons notamment nous demander quelle est la réalité de l'indépendance et de l'autonomie de ces travailleurs indépendants.

Si l'on part du principe qu'il y a cinq millions de chômeurs et que le libre arbitre de ceux qui travaillent pour ces plateformes est donc faible, on risque d'en tirer une conclusion assez radicale sur la nature des droits et des obligations et de « tuer » ces nouvelles formes d'emploi. Inversement, faire comme si la réalité que vous évoquez n'existait pas, comme si le rapport de force social entre ces travailleurs et leurs donneurs d'ordre était parfaitement équilibré, conduirait à des situations socialement inacceptables pour notre pays.

Là encore, je crois qu'il faut faire preuve d'un certain pragmatisme. D'une part, il faut viser à mettre fin à ce qui est, du point de vue de nos concitoyens, totalement inacceptable, à savoir ces activités en franchise totale d'impôts et de taxes ; c'est pour moi la grande priorité. D'autre part, il faut faire confiance au fait que les monopoles ne durent pas longtemps. D'ailleurs, Uber n'est plus en situation de monopole : de nouvelles formes d'emploi, y compris salarié, se développent. Sans doute y a-t-il une convergence à organiser, mais c'est un sujet difficile, y compris politiquement : comment faire converger vers l'emploi traditionnel de nouvelles formes qui permettent de répondre aux enjeux économiques et à un certain nombre de défis auxquels nous sommes confrontés ? Comment redéfinir correctement les droits et les socles sociaux, ainsi que les obligations des donneurs d'ordre ?

Je n'ai pas de réponse évidente à votre dernière question. Je dis simplement que l'idée de transférer l'ensemble des obligations, au nom de situations sociales et humaines inacceptables, aurait des conséquences assez immédiates. En disant cela, je ne pense pas seulement aux emplois de transporteurs, mais aussi à tous les emplois de développeurs informatiques, que l'on peut délocaliser en une décision immédiate dont on ne trouve pas forcément trace ensuite. Encore une fois, je crois à la régulation sociale, car c'est ma culture historique et économique, mais je reconnais que, à court terme, elle peut se heurter à certains enjeux. C'est pourquoi l'idée d'un socle minimal de « droits humains », devant être garantis ici comme ailleurs par les donneurs d'ordre, me semblerait une voie intéressante, à la différence de celle qui consisterait à transférer sur ces nouveaux métiers l'ensemble des obligations.

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