Monsieur Teboul, ce qui est intéressant, c'est que votre propos est conclusif, alors que les personnes qui travaillent sur ces questions restent pour la plupart d'entre elles au stade des interrogations et souhaitent même que les parlementaires ne fassent pas preuve de trop de zèle dans leur propension à légiférer, parce qu'elles préfèrent laisser place à la négociation.
La description que vous faites du comportement économique des acteurs de cette nouvelle économie appelle des questions : que visent les investisseurs qui mettent à disposition de ces sociétés de très importantes sommes alors même qu'ils savent qu'ils vont les perdre faute de rentabilité ? Quel intérêt ont-ils à financer ces structures dans ces conditions ? Leur but serait-il la destruction des formes d'économie traditionnelle ? Ajoutons à cela que l'absence de rentabilité s'analyse comme une forme de concurrence déloyale. Les mécanismes de levée de fonds classiques consistent à recourir aux marchés mais quelle serait ici la rationalité du marché, à supposer que l'on puisse parler de rationalité s'agissant des marchés, ce qui est peut-être un présupposé discutable ? Il ne faut par ailleurs pas oublier que certains investisseurs ayant perdu beaucoup d'argent les premières années en ont gagné beaucoup ensuite. S'agirait-il d'une forme de pari sur la rentabilité à long terme de certaines activités qui, pour prendre leur essor, doivent détruire les formes économiques traditionnelles ?
S'agissant de l'automatisation, qu'il y ait un risque de destruction d'emplois, c'est indéniable. Pensons à l'impression en 3D et à ce qu'elle permettra lorsque tous les processus seront maîtrisés, notamment celui de la cuisson. Pensons encore aux emplois de secrétariat : la sténographie n'est plus employée mais, à terme, c'est aussi la dactylographie qui disparaîtra face au développement des logiciels de dictée : restera seulement la mise à page, ce que même les avocats sont capables de faire… De ce processus, vous tirez des conclusions préoccupantes, estimant que la moitié des emplois de « cols blancs » sera affectée, ce qui est considérable dans une économie tertiaire. La loi de Schumpeter de la destruction créatrice ne se vérifierait plus.
Vous mettez en avant la nécessité d'un revenu universel. Ne peut-on envisager d'autres solutions ? Nous savons, par exemple, qu'il y a des besoins qui ne sont pas solvables. N'y aurait-il pas des possibilités de créations d'emplois à travers la solvabilisation de certains besoins, par exemple, ceux liés au vieillissement de la population ? La question est d'importance, car le travail ne procure pas seulement une rémunération, il confère un statut : c'est le principal mode d'insertion dans la société. Qu'adviendrait-il suite au développement d'un revenu universel sans travail ? Des questions lourdes se posent, d'autant que nous sommes confrontés à un problème de cohésion sociale.