Intervention de Bruno Teboul

Réunion du 14 janvier 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Bruno Teboul, vice-président de Keyrus :

Je vous remercie de vos questions, mesdames et messieurs les députés.

Je commencerai par répondre à la question portant sur la disruption et le caractère anxiogène des estimations de destructions d'emplois, dont certaines, issues d'études plus conservatrices, font état de proportions moindres – 14 % d'emplois automatisés selon l'Observatoire du long terme. Ce caractère anxiogène est indéniable mais, comme on dit, la peur n'évite pas le danger : il nous faut jouer le rôle de catastrophistes éclairés pour que soient mises en place les bonnes mesures de régulation. Ces nouveaux acteurs, prédateurs et trublions technologiques que sont les fameux « NATU », ont choisi de domicilier leurs entreprises dans des paradis fiscaux et contournent ainsi les règles fiscales européennes. Nous aurions tout intérêt à nous poser la question de la fiscalité comme source de financement, notamment pour le revenu universel. Cela me semble un point important à rappeler. Il serait bon qu'une commission de réflexion se penche sur la fiscalité de l'économie numérique dans le prolongement du rapport « Collin et Colin » publié en 2013.

J'aimerais maintenant établir un lien entre la rentabilité de ces acteurs et la financiarisation des plateformes. Vous posez une très bonne question, monsieur Robiliard : les fonds d'investissement font-ils simplement un choix cynique ou bien sont-ils persuadés que leurs investissements seront rentables à terme ? Les deux à la fois, me semble-t-il. D'une part, ils mènent une stratégie destinée à balayer les formes traditionnelles de l'économie ; d'autre part, ils savent calculer leurs risques. Dans mon ouvrage, je cite l'analyse d'Aileen Lee, du fonds d'investissement Cowboy Ventures, selon qui ces fonds n'hésitent pas à investir des centaines de milliers, voire des millions de dollars dans dix start-up différentes pour n'en voir émerger qu'une seule.

Cependant, la question de la rentabilité et de la solvabilité de l'économie des plateformes reste entière. Rappelons qu'Amazon, qui enregistre plus de 40 milliards de dollars de chiffre d'affaires, est aujourd'hui à peine rentable. Est-ce un modèle que nous devons importer en Europe ? Je pense que non. Faut-il se contenter d'une économie traditionnelle et conforter les grands groupes pour éviter que des start-ups n'émergent ? Je pense que non. Faut-il réinventer une véritable économie collaborative, solidaire, équitable et durable ? Je pense que oui. Il nous appartient de construire un écosystème plus complexe qui fera émerger des acteurs innovants venant compléter le tissu des entreprises traditionnelles. Nous devons nous inscrire dans une logique plurielle et ne pas ériger en modèle unique la disruption de la Silicon Valley ou les dernières start-ups financières de la place londonienne.

Plusieurs questions ont porté sur l'évolution du travailleur indépendant. Il me semble important de réfléchir à la création d'un nouveau statut, fondé sur un lien non de subordination mais de dépendance économique, ce qui n'empêche pas, madame Carrey-Conte, de prendre en compte la diversité des situations – indépendance choisie et indépendance subie. Il serait intéressant de réfléchir aux exemples italien et espagnol pour assurer une protection à ces travailleurs indépendants dépendants économiquement.

J'aimerais pouvoir être plus optimiste mais les perspectives de destruction d'emplois ne m'y incitent guère. Tous les secteurs d'activité sont et seront concernés. Citons le développement par IBM du logiciel Watson qui permet, entre autres, de progresser de manière spectaculaire dans les diagnostics oncologiques. Se pose bel et bien la question de la « watsonisation » de la médecine. La médecine prédictive aura besoin de nouveaux spécialistes rompus à ces technologies, mais je crains que son émergence et son immersion jusqu'au sein des blocs opératoires ne s'accompagnent, dans les hôpitaux, d'une diminution du nombre de praticiens. Le notariat lui-même est menacé par des sociétés comme Testamento, et les avocats sont confrontés à des logiciels qui appliquent des algorithmes à des codes juridiques afin de produire des conclusions de manière automatique. Ce processus d'automatisation va s'accélérer partout, mettant toujours davantage à mal la théorie de Schumpeter.

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