Merci pour votre exposé, qui se situe tout à fait dans le champ de notre mission. Nous avons la chance de pouvoir prendre ici le temps de la réflexion, ce qui est important avant d'agir. La revue que vous animez contribue également au débat public ; soyez-en également remercié.
Je suis tout à fait d'accord avec votre « périodisation ». Au cours de la première période, une phase de progrès qui a duré jusqu'en 1974, il semblait logique, sain et utile à la démocratie que les partenaires sociaux, au sein de l'entreprise et de la branche comme au niveau interprofessionnel, oeuvrent ensemble aux progrès sociaux et à la répartition des fruits de la croissance. Puis, à partir de 1974, la croissance a ralenti, de sorte que les revenus à partager ont diminué, et l'exacerbation de la mondialisation a accru la concurrence, qui s'est imposée à certains secteurs d'activité. D'où un second mouvement, de conservation de l'existant et d'ajustement, qui a fait, à chaque accord, des gagnants et des perdants dans le monde salarial et, sans doute, du côté patronal.
Cela s'est traduit par une évolution du système et de la place des partenaires sociaux dans le pays. En 1995, un recul très marqué s'est opéré avec l'étatisation de la sécurité sociale. Depuis, on observe une forme de stabilisation : aux retraites complémentaires, à l'assurance chômage, à la formation professionnelle, gérées paritairement, s'ajoutent cependant le logement ou la protection complémentaire – un domaine nouveau qui a occupé la place laissée par la réduction de la place du régime obligatoire d'assurance maladie.
Ce paysage vous paraît-il effectivement stabilisé ? Permet-il de concilier la légitimité des acteurs lorsqu'il s'agit de gérer leur propre domaine et la prise en considération par l'État et par les parlementaires de l'intérêt général, au-delà de l'intérêt de l'entreprise – une intervention devenue d'autant plus indispensable que l'atomisation de l'économie, et le fait que les parcours de vie ne se limitent plus à une seule entreprise ni même à une seule branche professionnelle, appellent une approche transversale ? Ou, au contraire, considérez-vous que certaines évolutions s'imposent ?
Dans le domaine professionnel – qui a donné lieu à une belle réflexion autour de la sécurité sociale professionnelle –, il nous semble par exemple qu'il faudrait partir du parcours de chaque salarié plutôt que du risque chômage, en intégrant la formation professionnelle et le logement. Pourquoi ne pas créer un régime d'assurance professionnelle qui inclurait ainsi tous les éléments du compte personnel d'activité ?
Dans le droit-fil de notre précédente audition, ce qu'il est désormais convenu d'appeler l'« uberisation » de la société et la numérisation vous paraissent-ils exercer un effet déterminant ou marginal sur les systèmes actuels de protection sociale, dont le paritarisme est une composante majeure ? Les pertes de recettes, et leurs conséquences sur la capacité à assurer la protection sociale, sont-elles significatives, ou vous semblent-elles destinées à le devenir ? À moins que vous ne soyez de ceux qui considèrent que, comme cela a toujours été le cas au cours de l'histoire, ces secteurs nés aux marges des régimes juridiques en vigueur pourront ensuite parfaitement être intégrés à notre droit – en l'espèce, dans le cadre des statuts actuels d'indépendant et de salarié ?