Intervention de Guillaume Duval

Réunion du 14 janvier 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Guillaume Duval, rédacteur en chef de la revue Alternatives économiques :

Sur ces questions, vous êtes beaucoup plus compétent que moi !

Il faut en effet répartir les responsabilités et les champs d'intervention, voire interdire la gestion de certains domaines.

En matière de santé, le problème de cette répartition est mal réglé.

S'agissant des retraites, la situation paraît aujourd'hui plus stable, malgré des difficultés. Par ailleurs, la question de la gouvernance future des retraites est, elle, plutôt bien réglée : le Conseil d'orientation des retraites (COR) fournit un bon exemple de ce qu'il est possible de faire, à défaut de trouver un accord, pour poser un diagnostic partagé sur l'état de tel ou tel champ de la protection sociale.

En revanche, les évolutions futures pourraient être problématiques. Il ne vous a pas échappé que notre pays est l'un de ceux qui a adopté les réformes les plus dures en la matière. On entend toujours dire que les retraités ont un très bon niveau de vie, mais cela ne fait que refléter le passé, et la question des retraites risque de se poser en termes beaucoup plus conflictuels et socialement difficiles au cours des prochaines années, lorsque les gens commenceront à réaliser la nature et l'ampleur des effets des réformes adoptées depuis trente ans. Ce n'est pas pour rien qu'aux yeux de l'Union européenne ou de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France est l'un des pays où le poids des retraites augmentera le moins à l'avenir. Je ne sais pas si l'architecture institutionnelle soutiendra le choc.

En ce qui concerne le chômage, le principal problème que pose l'autonomie des partenaires sociaux est lié au rôle contracyclique de l'assurance chômage. La tentation est forte, même si les partenaires sociaux n'y cèdent pas pour l'instant, d'équilibrer en permanence le compte de l'assurance chômage, ce qui est absolument à proscrire du point de vue de l'utilité macroéconomique. En réalité, il faut laisser filer les déficits quand il y a du chômage et tenter de reconstituer un matelas lorsqu'il n'y en a pas. Mais l'autonomie de gestion des partenaires sociaux les incite à diminuer les cotisations et équilibrer les comptes quand tout va bien, et à laisser un peu filer quand les choses vont mal, avant de serrer la vis au pire moment. Il serait donc bon que l'action publique limite cet effet négatif.

Faut-il pour autant constitutionnaliser la différenciation des droits et des champs ainsi que leur attribution à divers acteurs ? Ce pourrait être une piste. Se poseraient alors évidemment les questions du caractère incontestable de la représentativité de ces acteurs, de l'indépendance de leur financement, de la nature et de la quantité de ceux qui sont représentés.

À propos de l'ubérisation de l'économie, comment couvrir et représenter les travailleurs indépendants ?

Le travail indépendant est un signe de sous-développement économique. Les pays qui comptent le plus de travailleurs indépendants sont d'abord les pays d'Afrique subsaharienne. Il existe un puissant dynamisme entrepreneurial sur les marchés africains, chacun se débrouille en vendant des cigarettes à l'unité et de l'eau au gobelet – mais ce n'est vraiment pas le sens de l'histoire. Le pays développé où l'on trouve le moins de non-salariés, ce sont les États-Unis d'Amérique, le pays économiquement le plus avancé. Cela me paraît être un contresens social et économique que de créer des petites entreprises et d'encourager leur développement. Nous avons trop d'entreprises trop petites ; certes il nous manque quelques start-ups high tech, mais on parle là d'autre chose que de baraques à frites ! Avec tout le respect dû aux gens qui se lancent, ce n'est pas ce type de travailleurs indépendants qui va redynamiser le tissu économique français. En revanche, le travail indépendant est un bon moyen de développer de manière spectaculaire la pauvreté laborieuse. Vous connaissez les chiffres : 6,5 % des salariés sont des travailleurs pauvres, c'est-à-dire qu'ils vivent dans un ménage gagnant moins de 60 % du revenu médian ; mais 20 % des travailleurs pauvres sont des indépendants. Certes une partie de ces derniers ne déclare pas tous leurs revenus, mais le travail indépendant demeure l'un des principaux facteurs de développement de la pauvreté laborieuse.

S'agissant de la couverture, j'ai une solution assez simple, mais plus facile à proposer pour un journaliste qu'à mettre en oeuvre pour un politique : que tous paient autant de cotisations sociales quel que soit leur statut.

Ce n'est pas seulement le non-salariat qui pose problème, mais également le développement des quasi-entreprises, en particulier des franchises, ce qui nous renvoie aux questions de gouvernance des entreprises et de paritarisme. J'ai commis à ce sujet pour Terra Nova une note qui n'a eu aucun écho. Parmi les nombreux Français qui se tournent vers l'extrême droite, et plus précisément parmi les salariés des petites entreprises qui ne se sentent pas représentés, on compte les salariés des réseaux de franchises. Un réseau de franchises est une quasi-entreprise, il peut même concurrencer directement des entreprises intégrées, comme le montre dans la grande distribution l'exemple de Carrefour ou d'Auchan face à Leclerc. Pourtant, les salariés n'ont strictement aucun droit collectif – ni comité d'entreprise, ni délégués, ni droit à la négociation au niveau du réseau. Dans ce domaine, une réforme ne coûterait pas cher – même si elle rencontrerait certainement des résistances – et pourrait être utile.

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