Intervention de Bernard Chevassus au Louis

Réunion du 27 janvier 2016 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Bernard Chevassus au Louis, président de l'association Humanité et Biodiversité :

Je le dis d'emblée, notre association est favorable au principe de la compensation écologique. Nous considérons que son introduction progressive dans la pratique est un progrès pour la protection de la biodiversité. Nous nous réjouissons que le Parlement se penche sur cette question et réfléchisse aux améliorations à apporter. J'en vois quatre.

La première concerne la notion d'évitement, dont nous considérons qu'elle comporte une part d'ambiguïté. Elle peut être comprise comme le fait d'éviter de réaliser un équipement – ce que nous appelons le renoncement – ou comme le fait de chercher à éviter au maximum les impacts de sa réalisation. Lorsque l'on consulte le public sur des mesures compensatoires, aussitôt ressurgit la question de la légitimité de la réalisation de l'équipement. L'évitement est perçu comme la possibilité de débattre du bien-fondé même de l'équipement, ce qui nous conduit à penser que les procédures actuelles sont insuffisamment démocratiques.

L'analyse socio-économique des investissements publics s'accompagne d'un calcul très complexe de la valeur actualisée nette (VAN), qui mélange coûts réels, bruit, temps gagné, nombre d'accidents de la route épargnés pour les transformer en monnaie. Si la valeur actualisée nette est positive, les économistes estiment qu'il faut réaliser l'aménagement. Selon nous, il faudrait, au contraire, poser sur la table tous les termes du débat, y compris les éléments qui ne seraient pas compensables car irremplaçables. Il serait donc intéressant que vous réfléchissiez à la manière de mieux instrumenter cette première étape, parce que cela n'amuse personne, et en particulier pas les maîtres d'ouvrage, d'avoir à gérer des débats sur le bien-fondé de ce qu'on leur a demandé de construire.

Deuxième point d'amélioration, il nous semble important de bien rappeler que, dans la chaîne « éviter-réduire-compenser », la responsabilité des maîtres d'ouvrage reste entière. S'ils peuvent tout à fait légitimement sous-traiter la recherche d'une compensation ou sa mise en oeuvre, il ne s'agit en aucun cas d'un transfert de responsabilité. Autrement dit, il ne faudrait pas que des réserves d'actifs naturels se résument à un calcul d'unités de compensation et que la phase d'examen qui détermine s'il y a bien équivalence écologique entre les mesures proposées et les destructions envisagées soit confisquée.

Le troisième point à améliorer est la qualité de la compensation. Nous sommes favorables à ce qu'elle soit intensive, c'est-à-dire qu'elle vise des espaces qui auraient été artificialisés ou profondément dégradés et permette de rendre au milieu naturel des espaces qui en étaient sortis. Aujourd'hui, une pratique trop extensive de la compensation fait débat, qui consiste à appliquer à des espaces qui ont encore une fonctionnalité écologique un coefficient multiplicateur pouvant aller jusqu'à dix, censé assurer une compensation supérieure des surfaces atteintes. Cette pratique était possible en phase expérimentale mais, plus la compensation va se développer, plus elle devra être intensive plutôt qu'extensive. Il faudra, en outre, clarifier les confusions auxquelles donnent lieu les notions de compensation forestière, de compensation agricole et de compensation écologique. Les unes ont des finalités économiques et de maintien d'un outil de production, et c'est à ce titre qu'elles peuvent être défendues. Il faudrait éviter qu'elles soient toutes présentées comme des compensations écologiques.

La dimension sociale de la compensation constitue un quatrième sujet d'amélioration. Outre la notion d'équivalence écologique, il convient de prendre en compte la population qui va pâtir des aménagements. Prenons 10 000 personnes qui bénéficiaient d'un petit bois à proximité de leurs habitations. Si la compensation intervient à quarante kilomètres de là, sur un espace qui était déjà de bonne qualité, situé en zone rurale et qui profitait à des personnes moins nombreuses, nous considérons que la dimension sociale de la compensation n'a pas été prise en compte. En plus de la notion de proximité qui permet de juger de l'équivalence écologique, il faut donc se préoccuper de la notion de proximité au sens social du terme. La compensation écologique ne doit pas creuser les inégalités sociales.

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