Avant de parler de compensation, il faut connaître l'ampleur de la destruction, savoir s'il s'agit d'un habitat naturel de bonne qualité ou bien déjà dégradé. En amont, il faudrait pouvoir envisager une forme de gouvernance à l'échelon local qui intégrerait la discussion sur la séquence ERC et se pencherait sur le bien-fondé des déclarations d'utilité publique de certains projets, car on voit bien qu'elles sont parfois discutables du point de vue économique, social et écologique. Elle réfléchirait au type d'habitat affecté et en quoi il peut être compensable ou pas. Actuellement, on observe des défaillances sur toute la chaîne de gouvernance, sans parler du déficit de démocratie locale lorsque l'on veut discuter de ces questions dans une atmosphère sereine.
S'agissant de la qualité des actions de restauration dans le domaine de la compensation, il me semble que l'écologie de la restauration est insuffisamment mobilisée. Pourtant, d'énormes progrès ont été accomplis dans cette science au cours des dernières années. La littérature fait état de grandes études montrant la capacité de récupérer environ 75 % de l'état naturel d'un écosystème, ce pourcentage traduisant une diversité de situations. Certaines informations permettent d'évaluer le niveau de succès. Par exemple, pour les zones humides, on sait que des surfaces plus grandes accroissent les niveaux de qualité parce qu'il y a davantage de connectivité et de dynamiques. Ces éléments doivent être pris en compte lorsque l'on diagnostique ce qui est compensable et ce qui ne l'est pas.
Quant à la dimension temporelle, c'est évidemment un élément central. On sait qu'une terre agricole est l'un des écosystèmes les plus difficiles à restaurer puisqu'il faudra cinquante ou soixante ans rien que pour faire disparaître tous les polluants.
J'aborderai le bilan que l'on peut dresser de l'expérience américaine à travers les zones humides, que je connais le mieux. Aux États-Unis, environ 134 000 hectares de zones humides ont disparu chaque année entre 1975 et 1985, contre 16 000 hectares par an entre 2004 et 2009. S'il n'y a toujours pas de no net loss, on constate toutefois une amélioration dans les pertes. Je cite là un rapport du Fish and Wildlife Service. Il s'agit d'éléments surfaciques qui masquent des diversités de situations, et il faut, bien évidemment, aller plus loin en termes qualitatifs. Néanmoins, on peut voir qu'un renforcement de la séquence ERC, et notamment de la partie compensation, peut créer des effets.
Lorsque l'on parle de marchandisation et de financiarisation, il faut faire attention à ce que l'on évoque. En l'espèce, il s'agit de marchés très particuliers. Vous demandez si un marché peut être autorégulé. Non. En général, dans le domaine de l'environnement cela conduit à des catastrophes. En revanche, si on a des applications très sévères au niveau de la forme de régulation sur ce marché, on aboutira à des effets positifs liés à la dimension incitative. Des limites biophysiques et des cadres d'exigence écologique doivent être imposés réglementairement mais on peut utiliser le marché d'une certaine manière pour atteindre des objectifs écologiques exigeants si l'on s'en donne les moyens.
La financiarisation est source de malentendus. Pour qu'il y ait une transférabilité et une cessibilité entre plusieurs personnes, il doit y avoir des marchés secondaires. C'est cela le capitalisme financier. En l'occurrence, ici, on ne parle pas de marché secondaire ni de marché à terme, mais de marché où les crédits de compensation ne pourraient être vendus qu'au générateur de l'impact, comme c'est le cas aux États-Unis.