Intervention de Philippe Vitel

Réunion du 3 février 2016 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Vitel, rapporteur :

Après avoir rappelé ces éléments fondamentaux, nous en venons à présent, chers collègues, au coeur de notre rapport, qui avait deux objectifs : l'évaluation de la place de la France dans l'OTAN et l'identification de pistes d'évolutions pour l'OTAN de demain. Les débats passionnés qui ont entouré la question de la réintégration dans le commandement intégré de l'OTAN en 2009 justifient à eux seuls de rappeler au préalable une évidence : la France n'a jamais complètement quitté l'OTAN, et s'en est fortement rapprochée depuis le début des années 1990.

Comme chacun le sait, la France a toujours été un allié de premier plan de l'OTAN, et ce dès l'origine.

En tant que membre fondateur, elle participe pleinement aux missions de l'OTAN de 1949 à 1966. La France est un membre actif, comme en témoigne la forte présence des infrastructures de l'OTAN sur son territoire. À la suite de quelques tensions, le général de Gaulle, le 7 mars 1966, adresse une lettre au président Johnson faisant état de sa volonté de quitter le commandement militaire intégré.

La décision de se retirer des états-majors militaires de l'organisation ne remet nullement en cause l'engagement français à prendre part à la défense collective de l'Alliance : il s'agit, selon la formulation du général de Gaulle, de « modifier la forme de notre Alliance sans en altérer le fond ». Après 1966, l'engagement de la France auprès de l'OTAN a perduré, que l'on pense à la contribution aux orientations politiques de l'organisme, de ses engagements au titre de la défense collective ou de sa participation aux opérations de gestion de crise. La solidarité de la France avec ses Alliés ne s'est ainsi jamais démentie pendant les périodes de tension de la Guerre froide, de la crise des missiles de Cuba à celle des euromissiles.

À la fin de la Guerre froide, le président Mitterrand a proposé l'organisation d'un Sommet de l'OTAN destiné à débattre de la stratégie à adopter dans un monde devenu apolaire et la France a participé à la définition du nouveau concept stratégique, adopté en 1991. La France a par la suite participé aux opérations de gestion de crise en Bosnie dès 1993, puis a intégré l'IFOR et la SFOR. Avec près d'une centaine d'avions sur un millier déployés et son groupe aéronaval, la France a été le premier contributeur européen à l'opération « Force alliée » en ex-Yougoslavie au printemps 1999, participant à tous les types de missions – bombardement, appui au sol, renseignement et observation, ravitaillement en vol, extraction d'équipages. Elle a par ailleurs apporté une contribution significative à la Force internationale d'assistance à la sécurité, la FIAS, en Afghanistan, placée depuis 2003 sous le commandement de l'OTAN. Il me semblait utile de rappeler ces éléments.

Finalement, sur la volonté du président Sarkozy, le plein retour de la France dans les structures intégrées de l'OTAN est confirmé lors du Sommet de Strasbourg-Kehl des 3 et 4 avril 2009. La France rejoint le comité des plans de défense mais reste en dehors du groupe des plans nucléaires. En pratique, le retour de la France dans le commandement intégré de l'OTAN se traduit par le déploiement de plusieurs centaines de militaires français dans la quinzaine d'états-majors de la structure militaire de l'OTAN et l'obtention par la France de deux postes à responsabilité : le commandement suprême allié chargé de la transformation de l'OTAN, on l'a vu, et le commandement interarmées basé à Lisbonne, qui a autorité notamment sur la force de réaction rapide.

Le rapport « Védrine » sur les conséquences du retour de la France dans les structures militaires intégrées de l'OTAN, remis au président de la République en novembre 2012 a conclu qu'une « (re)-sortie française du commandement intégré n'est pas une option ».

Dans son rapport, Hubert Védrine note que la France a retiré un surcroît d'influence de sa pleine participation à l'OTAN – ce que nous avons constaté sur le terrain – alors qu'elle était devenue la seule organisation internationale où nous nous privions d'exercer notre influence.

Tout d'abord, le retour a permis de « franciser » les structures de l'OTAN, puisque la participation française a triplé s'agissant des personnels militaires. L'octroi de postes importants comprenant notamment un des deux commandements suprêmes va également dans ce sens. Ensuite, en matière d'influence sur l'organisation de l'OTAN, la France a joué un rôle moteur pour rationaliser le fonctionnement de l'Alliance, hiérarchiser les priorités, refondre les procédures, ramener le nombre des agences de quatorze à trois, en en espérant une économie de 20 %, et réduire la structure de commandement. Toutefois, Hubert Védrine se montrait notamment perplexe s'agissant de la capacité des industriels français, et plus largement européens, à tirer bénéfice des dépenses militaires des pays de l'OTAN.

À la suite du rapport Védrine, l'approche française est claire : développer une politique audacieuse et décomplexée d'influence accrue dans l'Alliance qui facilitera les efforts européens de la France. Nous avons tenté de dresser un nouveau bilan trois ans après la publication ce rapport.

Force est de constater que si la stratégie française a rencontré quelques succès dont il convient de retirer une certaine fierté, de multiples questions demeurent en suspens.

S'agissant des points satisfaisants, il s'agit premièrement de l'intégration de nos priorités en amont du processus de décision de l'OTAN : nous sommes aujourd'hui présents beaucoup plus tôt dans le processus de gestion de crises de l'Alliance et de préparation d'options militaires, lorsque cela est nécessaire. Deuxièmement, la France a également encouragé efficacement l'OTAN à réformer la structure de commandement intégrée mais cette démarche est délicate, car nombreux sont les États-membres qui souhaitent conserver des états-majors ou structures de l'Alliance sur leur sol. Troisièmement, notre vision stratégique est mieux prise en compte. Ainsi, la directive politique approuvée par les ministres de la Défense le 24 juin 2015 et précisée le 23 juillet 2015 par la directive complémentaire du Comité militaire reprend notre préoccupation quant à la nécessité, au regard de la situation sécuritaire changeante sur les flancs est et sud de l'Alliance, d'assurer un équilibre entre les menaces identifiées sur ces flancs, mais aussi quant au rôle de certaines capacités comme la défense antimissile. Quatrièmement, il convient de souligner l'approfondissement de la relation de confiance que nous entretenons au plan militaire avec nos plus proches alliés, et en particulier les États-Unis. Le soutien apporté par les États-Unis à nos opérations au Mali ou en Centrafrique est aussi le résultat direct des habitudes de travail en commun prises au sein de l'OTAN. Cinquièmement, les opérations nationales françaises ont été reconnues comme contribuant à la sécurité de l'Alliance dans son ensemble, et à la définition de cibles pour la déployabilité des forces. Celles-ci nous permettront, à terme, de nous assurer que nos Alliés disposent des capacités dont nous pourrions avoir besoin lors de nos opérations, qu'elles se déroulent dans le cadre national, dans le cadre de l'Union européenne ou dans le cadre de l'OTAN. Sixièmement, nos appréciations opérationnelles sont mieux prises en compte par la chaîne de commandement de l'OTAN : l'évaluation française de la situation sur les théâtres d'opérations est désormais pleinement intégrée aux travaux menés par la chaîne de commandement. Septièmement, s'agissant de la promotion de nos intérêts industriels, l'OTAN est aussi un vecteur de notre diplomatie économique. La France est aujourd'hui mieux placée pour mettre en valeur ses industriels, notamment les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI), dans les appels d'offres conduits par l'OTAN, ou liés à cette organisation. Huitièmement, nous en avons parlé, la France est représentée à des postes clés.

Les questions en suspens sont nombreuses. D'abord, concernant la question des forces, il est difficile d'ignorer les reproches qui sont régulièrement adressés à la France s'agissant du non-respect de ses engagements d'affectation de personnels. Nous n'en pourvoyons que 75 % et, compte tenu de l'engagement de nos forces en opérations extérieures comme sur le territoire national, la France a très peu participé à l'exercice Trident Juncture de l'automne 2015. Si l'enjeu pour notre pays est bien évidemment de parvenir à maintenir l'équilibre entre défense intérieure et capacité à projeter nos forces, il n'en demeure pas moins que nous devrions davantage respecter nos engagements.

Ensuite, l'appréciation du coût budgétaire de la réintégration de la France dans le commandement militaire intégré est complexe. La Cour des comptes a remis un rapport consacré à la question en 2012, sur saisine de la commission des Finances de l'Assemblée nationale. Selon les estimations de la Cour des comptes, le montant de la participation financière française au budget de l'OTAN atteignait 325,86 millions d'euros en 2011, alors qu'elle se serait établie à 264,86 millions d'euros sans la réintégration au sein du commandement militaire intégré. Si l'augmentation du coût budgétaire de la participation à l'OTAN a crû pour la France, celle-ci ne s'explique pas exclusivement par la réintégration, mais plutôt par l'importante augmentation du budget de l'OTAN depuis 2007 en raison de l'évolution de l'opération afghane. Le budget total de l'OTAN est ainsi passé de 1 875,49 millions d'euros en 2007 à 2 419,25 millions d'euros en 2011.

Le surcoût pour la France strictement lié à la pleine participation aux structures intégrées s'élève donc à 61 millions d'euros, ce qui est inférieur aux prévisions du ministère de la Défense, qui s'élevaient à 79 millions d'euros. Pour autant, le surcoût définitif de la réintégration et, plus largement, de la participation française à l'OTAN, demeure difficile à établir à long terme. À titre d'exemple, la pleine participation au budget « investissements » est progressive et ne sera pas atteinte avant 2020, et c'est seulement à cet horizon que le surcoût final total pourra être mesuré.

Par ailleurs, le retour sur investissement pour les industriels est insuffisant. Le constat du général Paloméros devant notre commission au printemps dernier était sans appel : on ne tire pas suffisamment bien notre épingle du jeu. Si des actions ont déjà été entreprises – mise en place d'un réseau d'agents de la Direction générale de l'armement (DGA) présents à la représentation permanente et dans les agences de l'OTAN, diffusion des appels d'offres de l'OTAN sur la plateforme des achats du ministère de la Défense, réunions régulières entre les représentants des entreprises françaises d'armement et la représentation permanente de la France auprès de l'OTAN – il conviendrait de les compléter en sensibilisant davantage les petites et moyennes entreprises ainsi que les entreprises de taille intermédiaire aux opportunités que représente l'OTAN et à ses besoins, en renforçant la capacité d'analyse et d'anticipation de la DGA par un accroissement de personnel au sein du bureau OTAN.

Enfin, au cours de nos auditions et de nos déplacements, nous avons parfois eu le sentiment que la France avait en quelque sorte honte de son retour. Cette impression se traduit à plusieurs niveaux. D'abord, il semblerait qu'il y ait une certaine réticence à afficher la bannière de l'OTAN lors d'opérations menées de manière bilatérale ou multilatérale. Ensuite, il apparaît que les personnels militaires insérés au sein des structures de l'OTAN ne bénéficient pas d'un retour optimal au sein des armées françaises, une mobilité auprès de l'OTAN n'étant pas suffisamment valorisée dans les déroulements de carrière. Enfin, comme le notait M. Hubert Védrine devant la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, il est nécessaire d'opérer un changement de mentalité, y compris au sein de nos ministères.

Plus largement, l'assiduité politique de la France au sein de l'OTAN semble aléatoirement perfectible. Si le ministre de la Défense ainsi que le CEMA sont très présents, d'autres le sont moins, au motif que le processus de discussion et de décision est lourd et bureaucratique. Or, la politique de la chaise vide n'est pas acceptable à l'heure où il s'agit, plus que jamais, de faire entendre la voix de la France.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion