Je vous remercie de cette invitation et je vous présente tous mes voeux.
Le référendum mobilise toutes les énergies des milieux politique et universitaire ainsi que du monde des affaires. Il est presque l'unique sujet aujourd'hui au Royaume-Uni et le grand sujet des relations bilatérales.
Pourquoi un référendum ? Lors des dernières élections, David Cameron, redoutant sa défaite faute de coalition, a pensé que cette promesse lui permettrait de prendre des voix au parti UKIP. Or, ce parti s'est effondré et, divine surprise pour le Premier ministre, il a remporté les élections avec une courte majorité. Mais, aujourd'hui, les Libdems ne peuvent empêcher le référendum ni en atténuer la portée.
Les termes de la question posée ont été longuement discutés pour aboutir à une formulation très claire que vous avez citée madame la présidente et qui se peut être résumée ainsi : « in or out ? ». Une des formulations qui avait été envisagée laissait penser que le Royaume-Uni ne faisait peut-être pas partie de l'Union européenne. Or, tous les Britanniques ne sont pas conscients que leur pays est membre de l'Union européenne. C'est la raison pour laquelle cette formulation sans équivoque a été retenue.
Si le Conseil européen des 17 et 18 février parvient à un accord, le référendum devrait se tenir en juin 2016. S'il échoue, un conseil exceptionnel devrait avoir lieu fin février afin de respecter le calendrier. Faute de quoi, les Écossais prenant leurs vacances en juillet et les Anglais en août, le référendum serait repoussé en septembre faisant courir le risque d'une évolution négative. Pour la première fois en septembre dernier, les sondages donnaient le « out » vainqueur. Toutefois, les sondages réalisés plusieurs mois avant le scrutin ne veulent absolument rien dire car la campagne n'a pas encore commencé. La date envisagée par David Cameron serait le 23 juin.
Pendant un temps, seuls les partisans de la sortie de l'UE se sont mobilisés, usant d'arguments bien connus : la souveraineté du Royaume-Uni et l'immigration. Au nom de la première, il leur est intolérable que, faute de constitution britannique écrite, la seule loi écrite soit européenne. Le second argument avancé traduit la peur de perdre des emplois. Comme souvent, ce sont dans les régions dans lesquelles les immigrés sont les moins nombreux que les positions sont les plus hostiles à leur égard. À Londres, près de 40 % des habitants ne sont pas nés au Royaume-Uni. L'opposition vient donc d'ailleurs.
La campagne est menée au sein du parti de David Cameron par un groupe d'europhobes – j'emploie ce terme à dessein, car ils ne sont pas seulement eurosceptiques, ils veulent sortir de l'Union à tout prix, quel que soit le résultat de la négociation.
S'agissant d'une alternative éventuelle, les membres du Commonwealth ont fait savoir qu'ils comptaient sur un Royaume-Uni influent, ce qu'il ne peut pas être s'il est isolé. Quant à la Norvège et la Suisse, le Premier ministre norvégien a rappelé que son pays contribue financièrement à l'Union européenne et est obligé d'en respecter les règles sans pour autant être à la table des négociations pour les élaborer. Les tenants du « out » peinent à trouver des arguments rationnels pour soutenir leur position mais personne n'ignore la part d'irrationnel dans les référendums.
La campagne en faveur du « in » n'a pas commencé car ses partisans attendent de pouvoir tirer argument d'une Europe réformée à laquelle le Royaume-Uni trouverait un avantage à appartenir.
Les réformes demandées par David Cameron n'ont rien d'inacceptable dans l'ensemble, même si certains sujets sont plus difficiles – pour nous, les liens entre la zone euro et la zone non euro. Les Britanniques sont prêts au compromis. Ils ne cherchent pas à empêcher la zone euro de s'intégrer, au contraire, disent-ils, car l'économie britannique a besoin d'une zone euro qui fonctionne – ils étaient très inquiets au moment de la crise grecque. Il est possible de trouver un accord, reste à s'entendre sur la rédaction.
Sur l'immigration, les Etats membres ont fait connaître leurs lignes rouges et David Cameron a donné ses assurances qu'il n'était pas question de revenir sur les principes de libre circulation ou de non-discrimination. La proposition d'instaurer une période probatoire de quatre ans pour pouvoir prétendre aux prestations sociales pose un problème de discrimination évident. Mais le Premier ministre est prêt à trouver des solutions alternatives. Des discussions ont lieu actuellement à Bruxelles.
La négociation n'a pas été menée de manière complètement ouverte mais sur le mode de confessionnaux, le président du Conseil européen ou le président de la task force rencontrant les pays un par un pour connaître leurs difficultés et, par approximations successives, arriver à trouver un accord sur ce point.
La difficulté tient moins à la réaction des Européens – beaucoup sont disposés à aider le Royaume-Uni à rester et ils l'ont dit – qu'à la campagne au Royaume-Uni même. La mobilisation pro-européenne devrait commencer à la fin du mois de février, après l'accord au Conseil. La campagne sera financée notamment par les grands magasins Sainsbury's alors que les partisans du « out » semblaient pouvoir compter sur des financements plus importants. Tous les arguments seront avancés : non seulement l'Europe réformée mais aussi l'influence et la sécurité de l'Union européenne. David Cameron lui-même, depuis le mois d'octobre à la conférence du parti à Manchester, a commencé à présenter les avantages de l'Union européenne dans ces termes. Les membres du gouvernement, à l'exception de deux ou trois, sont conscients de l'intérêt de l'Europe : Philip Hammond, le ministre des affaires étrangères, parti d'une positioneurosceptique est désormais convaincu car il mesure l'importance des sanctions européennes pour mener une politique vis-à-vis de la Russie, de l'Iran ou du Moyen-Orient ; le chancelier de l'Echiquier, George Osborne, est très favorable au maintien dans l'Union européenne ; Theresa May, ministre de l'intérieur, pourtant considérée comme eurosceptique, a dû défendre le mandat d'arrêt européen considérant qu'il est dans l'intérêt du Royaume-Uni. Les milieux d'affaires sont à 80 % en faveur du maintien ; ils sont dans les starting blocks ayant affuté un certain nombre d'arguments. Mais les statistiques sont toujours utilisables dans les deux sens.
La sortie de l'Union européenne entraînerait une perte d'influence considérable. Obama, qui doit venir en visite à Londres peu avant le référendum, devrait dire clairement que la relation spéciale qui lie les deux pays présentera moins d'intérêt si le Royaume-Uni quitte l'Union et y perd donc son influence. Le président chinois a également indiqué que Londres était la porte d'entrée en Europe. Un pays de la taille d'une province chinoise risque de ne pas être traité avec beaucoup d'égards. Les Britanniques sont conscients de cette menace d'affaiblissement de leur influence.
De l'autre côté, paradoxalement, l'Europe a besoin du Royaume-Uni pour être forte. C'est le seul pays à consacrer 2 % de son budget à la défense et à participer aux opérations civiles et militaires de l'Union européenne, malgré son parti pris hostile, y compris en Afrique – au Mali par exemple – et sans compter l'intervention à nos côtés en Syrie.
C'est une économie majeure, avec ses 64 millions d'habitants, qui quitterait l'Union européenne. Dans les négociations avec les États continents qui sont les puissances de demain, l'Union perdrait beaucoup avec le départ du Royaume-Uni. Notre intérêt est de les aider.
Le prochain sommet franco-britannique aura lieu début mars, probablement à Amiens. Les relations entre nos deux pays sont actuellement très chaleureuses. David Cameron a rencontré à trois reprises le Président de la République ces derniers temps. Il a manifesté un soutien exceptionnel lors des attentats du 13 novembre ; la ministre de l'intérieur était présente à la minute de silence à l'ambassade de France ; la marseillaise a été chantée à Wembley, vous avez tous vu les images. La France est pour les autorités britanniques un pays allié et ami qui a un rôle à jouer. Angela Merkel n'est pas la seule à pouvoir aider David Cameron à obtenir le paquet européen qu'il pourrait défendre.