Intervention de Philippe Goujon

Séance en hémicycle du 4 février 2016 à 15h00
Lutte contre le hooliganisme — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Goujon :

La proposition de loi présentée par notre excellent collègue Guillaume Larrivé est aussi pertinente qu’urgente, et elle concerne un phénomène intolérable, celui des violences commises, dans les manifestations sportives, par les hooligans, que nous devons effectivement distinguer de la multitude des autres supporters, dont le sport ne saurait se passer et qui se voient à juste titre reconnus comme des acteurs à part entière. En témoigne, d’ailleurs, le débat constructif qui s’est noué entre majorité et opposition en commission des lois, où plusieurs amendements ont été adoptés et le texte voté à l’unanimité.

La proposition de loi complète l’arsenal juridique que le législateur a progressivement constitué pour sécuriser les manifestations sportives et répondre aux violences inacceptables commises par ceux qui bafouent les valeurs du sport. Certes, nous ne partons pas de rien.

Autrefois rapporteur pour la commission des lois du Sénat de la loi du 5 juillet 2006 de prévention des violences lors des manifestations sportives, issue d’une proposition de loi de notre collègue Claude Goasguen et complétée, depuis, par la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite loi LOPPSI 2, je me réjouis de voir un arsenal juridique – dont l’efficacité et l’effet dissuasif ont été attestés – être à nouveau amélioré pour répondre aux évolutions du hooliganisme.

Je vous proposerai d’ailleurs d’ajouter à la liste des infractions pouvant donner lieu à la peine complémentaire d’interdiction judiciaire de stade le fait de pénétrer ou de tenter de pénétrer dans une enceinte sportive lors du déroulement d’une manifestation sportive en possession ou sous l’emprise de stupéfiants.

Aujourd’hui, une nouvelle amélioration du cadre légal s’impose car des obstacles juridiques empêchent les clubs de refouler les supporters indésirables, ces mêmes clubs s’exposant alors à des poursuites pour refus de vente, et ce au moment où notre pays s’apprête à accueillir l’Euro 2016.

Par une délibération du 7 avril 2015, la CNIL a en effet refusé aux clubs le droit de mettre en oeuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel visant à exclure certains clients pour des motifs d’ordre sécuritaire, même si ces derniers figuraient dans les conditions générales de vente des billets. La CNIL avait rappelé que, faute d’une évolution législative – à laquelle elle nous invite par conséquent –, cette possibilité devait seulement porter sur le non-respect de règles commerciales.

Le Conseil d’État, dans sa décision du 21 septembre 2015 sur le « fichier STADE », a pour sa part annulé la communication de ces données aux fédérations et groupements sportifs agréés, au motif que ceux-ci n’exerceraient pas de missions relatives à la prévention des troubles publics ou aux atteintes à la sécurité des personnes et des biens.

L’intervention du législateur, proposée par Guillaume Larrivé, est donc indispensable pour leur permettre de créer un fichier des indésirables, autrement dit de la frange des individus susceptibles de provoquer des troubles et des violences, mais qui ne font pas encore l’objet d’une interdiction administrative ou judiciaire de stade ; elle donnera aussi aux organisateurs de manifestations sportives la possibilité d’assumer leurs obligations de sécurisation de l’enceinte sportive, comme le rappelle la circulaire du ministre de l’intérieur du 9 décembre 1994. La CNIL ayant dénié aux clubs le droit d’exploiter un tel fichier et de refuser de vendre des billets à certaines catégories d’individus, l’article 1er de la proposition de loi vient pallier un manque.

Par ailleurs, la durée légale des interdictions administratives de stade pose problème puisque, pour éviter tout risque juridique, en moyenne, la durée effective est plus proche de quatre mois que du maximum légal, à savoir douze mois. Cette durée, trop courte, ne couvre pas la saisonnalité des championnats et ne permet pas d’éloigner un hooligan pour toute la durée de la saison, comme le demandent les responsables de clubs que nous avons auditionnés. Aussi est-il indispensable de porter cette durée de douze à vingt-quatre mois, et même à trente-six en cas de récidive, comme le propose l’article 2.

Cette durée restera, en tout état de cause, inférieure à celle de l’interdiction judiciaire de stade, qui peut atteindre cinq ans, ainsi qu’aux durées en vigueur chez plusieurs de nos voisins européens.

Alors que les autorités étrangères des pays européens accueillant des manifestations sportives internationales sont déjà destinataires des noms des personnes interdites de stade en France – et réciproquement –, il importe de diffuser aussi ces informations aux organismes sportifs internationaux tels que l’Union des associations européennes de football, l’UEFA, comme le propose désormais l’article 3, introduit en commission grâce à l’un de mes amendements.

En outre, pour que ces signalements permettent de bloquer les hooligans et fauteurs de trouble, il importe de généraliser la vente nominative d’abonnements, afin d’éviter la pratique des ventes en bloc de billets grâce auxquelles les hooligans contournent les vérifications d’identité : c’est ce que permettra l’article 4, introduit par un excellent amendement de notre collègue Patrick Mennucci.

Enfin, l’adoption de cette proposition de loi est urgente dans la perspective de l’organisation, à Paris, de l’Euro 2016 au mois de juillet, plusieurs matches « à risques » ayant d’ores et déjà été identifiés. Je ne vous cache pas mes inquiétudes, chers collègues, quant à la sécurisation de cet événement sportif en une période de surcroît marquée par un risque terroriste aussi élevé qu’imminent.

J’ai retiré mes amendements relatifs à la sécurisation des « fan zones » en commission, dans l’attente de réponses claires du Gouvernement sur les mesures opérationnelles qui seront prises pour sécuriser l’Euro 2016.

Quelles dispositions concrètes seront-elles prises pour sécuriser le flux des personnes accédant au stade ? Des portiques de détection seront-ils installés ? Chaque personne sera-t-elle fouillée et ses bagages contrôlés ? Si une enceinte close, un stade, peut être sécurisée en temps ordinaire par les stadiers, les policiers présents sur place ainsi que par des initiatives privées comme celle du collectif Sportitude, la sécurisation des « fan zones », en particulier celle du Champ-de-Mars, semble présenter d’importantes failles.

En effet, en l’absence de contrôles d’identité à l’entrée – les vigiles ne procédant qu’à une simple fouille visuelle des sacs ainsi qu’à une palpation de sécurité des spectateurs –, comment pourra-t-on identifier les interdits de stade et les empêcher de se mêler au rassemblement ? Plus grave : comment pourra-t-on neutraliser les risques d’attentats ?

De plus, contrairement aux stades ou à leurs abords, où le refoulement des personnes à qui l’accès en est interdit ne constitue pas une atteinte à une liberté fondamentale, ainsi que l’a reconnu le juge du référé-liberté du tribunal administratif de Marseille dans son ordonnance du 6 novembre 2010, le régime juridique des « fan zones » pose, on le sait, problème.

En effet, ces « fan zones » constituent des lieux dans lesquels les manifestations publiques sont placées sous la responsabilité non des clubs organisateurs mais des pouvoirs publics. L’interdiction d’accès à ces espaces constitue, par conséquent, une interdiction de manifester, déjà identifiée comme problématique par la commission d’enquête sur les missions et modalités du maintien de l’ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, dont j’étais secrétaire.

Dans la mesure où, aux termes de l’article L. 332-16 du code du sport, l’autorité administrative peut interdire à une personne de pénétrer ou de se rendre aux abords des enceintes où de telles manifestations se déroulent ou sont retransmises en public, il me paraît nécessaire d’ajouter cette notion dans la définition du périmètre couvert par l’interdiction judiciaire de stade définie au même article.

Il serait également utile d’ajouter aux lieux visés par l’interdiction de déplacement – ce qui est différent – notifiée aux personnes susceptibles d’occasionner des troubles graves pour l’ordre public, outre les lieux dans lesquels se déroulent des manifestations sportives, déjà visés par les articles L. 332-16-1 et L. 332-16-2, les lieux où ces événements sont retransmis en public, afin de couvrir le cas des « fan zones ».

Par ailleurs, quand on se rappelle les débordements inacceptables qui avaient entaché la célébration, le 13 mai 2013, du trophée de champion de France du Paris Saint-Germain, au Trocadéro – ils m’avaient conduit à présenter au nom de mon groupe une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête –, on ne peut que craindre que de telles exactions se reproduisent à l’occasion de l’Euro 2016.

Elle pourraient avoir lieu aux abords des « fan zones » qui seront installées dans différentes villes, et, dans la capitale, dans les XVe, VIIe et XVIe arrondissements. Je n’évoque même pas le risque de fights, ces combats rangés entre bandes de supporters, dans les rues de Paris.

Sous ces réserves, qui sont me semble-t-il très importantes et même essentielles, et en souhaitant la suppression pure et simple – je le dis franchement – des « fan zones » si les autorités publiques ne parviennent pas à donner toutes les garanties nécessaires à leur sécurisation, je me réjouis, bien entendu, qu’une dynamique transpartisane permette de dépasser les clivages politiques traditionnels et d’aboutir à l’adoption d’un texte aussi nécessaire qu’utile.

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