Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis le porte-voix de Marie-George Buffet, qui a eu un empêchement de dernière heure, et vais donc vous donner lecture du texte qu’elle devait prononcer à cette tribune.
Nous débattons aujourd’hui de la proposition de loi du groupe Les Républicains relative au renforcement de la lutte contre le hooliganisme. Au motif de lutter contre les violences dans les stades, les dispositions contenues dans ce texte renforcent les outils répressifs utilisés contre les hooligans.
En effet, il serait désormais possible d’autoriser un club à ficher et à refuser l’accès au stade à des supporters ne faisant pas l’objet d’une interdiction administrative de stade, « en raison de leur comportement ». Cette rédaction hasardeuse est la porte ouverte à toutes les interprétations et à toutes les dérives. Le texte prévoit également d’allonger d’un à deux ans la durée des interdictions administratives.
Ces différentes mesures nous interpellent, alors même que la législation actuelle comporte de nombreuses dispositions pour prévenir et sanctionner les violences dans les enceintes sportives sous l’autorité de l’État. Les clubs sont déjà largement associés à la lutte contre le hooliganisme, et ce à double titre. D’une part, ils peuvent refuser l’accès au stade à toute personne s’il existe un motif légitime. D’autre part, s’agissant du fichage des supporters, la CNIL permet aujourd’hui aux clubs sportifs qui en font la demande de constituer un traitement automatisé de données à caractère personnel avec pour finalité la constitution d’une liste d’exclusion de clients.
Quant au volet répressif, le code du sport comprend actuellement un large éventail de sanctions. En vertu de ce code, le juge judiciaire peut prononcer une interdiction de stade, pouvant aller jusqu’à cinq années, contre une personne commettant l’un des délits propres aux manifestations sportives. S’agissant des autorités administratives, celles-ci ont par l’intermédiaire du préfet la faculté d’interdire de stade un supporter à titre préventif pour une durée de douze mois.
Comme l’a fait remarquer le rapporteur en commission, la politique de lutte contre le hooliganisme « est une politique publique qui fonctionne bien ». Les chiffres de l’Observatoire de la sécurité du football professionnel l’attestent, puisque la violence dans les stades et à leurs abords a reculé entre les saisons 2011-2012 et 2013-2014. Dès lors, on peut légitimement s’interroger sur l’opportunité de telles dispositions.
Par conséquent, cette proposition de loi ne vise qu’à renforcer un arsenal législatif déjà contraignant pour les supporters, au risque de porter atteinte aux libertés individuelles et aux droits fondamentaux comme les droits de la défense, le droit à un procès équitable ou encore le droit au respect de sa vie privée.
Par ailleurs, la nouvelle rédaction issue des débats en commission n’a fait qu’accentuer nos inquiétudes, en amplifiant le caractère liberticide de ce texte. Ainsi, le nouvel article 3 prévoit un élargissement des communications des données personnelles des supporters aux organismes sportifs internationaux à l’occasion de l’organisation d’une manifestation sportive. Le nouvel article 4 oblige, quant à lui, à personnaliser les cartes annuelles d’abonnement pour l’entrée dans les stades.
Ces dispositions permettront, si elles sont appliquées, le fichage des supporters par des structures privées au mépris des règles de confidentialité et du droit au respect de sa vie privée. Au contraire, si l’on veut lutter efficacement contre le hooliganisme, il importe de sortir d’une logique uniquement punitive pour y associer une logique préventive qui intègre les premiers acteurs concernés, à savoir les représentants des supporters.
Sur ce point, je note qu’un amendement déposé en commission sur l’initiative de notre collègue François de Rugy prévoit la création d’un organisme national chargé de représenter les supporters. Certes, cette mesure va dans le bon sens, mais elle n’efface pas le caractère globalement répressif de ce texte.
Il serait plus opportun de reprendre le texte proposé par l’Association nationale des supporters, dont l’objet est bien plus ambitieux. Déposé à l’Assemblée au mois de juin 2015 et cosigné par une cinquantaine de parlementaires de tous bords, il vise à ouvrir les clubs et les instances fédérales à la représentation des supporters.
S’il permet de répondre à l’absence de représentation organisée des supporters dans les instances nationales du sport, il pose également les jalons d’une meilleure implication des associations de supporters dans la gouvernance du sport, que ce soit dans les clubs et les ligues professionnels ou dans les fédérations. Je reste persuadé que c’est en responsabilisant ces acteurs essentiels du mouvement sportif que l’on viendra à bout de ce problème qui nuit à l’image du sport professionnel et amateur.
C’est en effet la garantie d’une meilleure politique de prévention permettant de lutter efficacement contre les phénomènes de violence et de discrimination qui ont lieu dans nos stades. Plus largement, cette représentation est aussi le gage d’une plus grande transparence et d’une plus grande durabilité du sport, vecteur de cohésion sociale et de responsabilité sociétale.
Tous ces objectifs sont aujourd’hui absents de la rédaction actuelle de la proposition de loi qui nous est présentée. Cette proposition de loi uniquement motivée, c’est évident, par l’organisation de l’Euro 2016, n’apporte pas une réponse complète et équilibrée pour agir contre les hooligans. Pour toutes ces raisons, les députés du Front de gauche ne pourront voter en faveur de ce texte dans sa forme actuelle.