Intervention de Myriam El Khomri

Séance en hémicycle du 4 février 2016 à 15h00
Développement régional de l'apprentissage — Présentation

Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je tiens tout d’abord à vous remercier toutes et tous pour votre intérêt et votre mobilisation en faveur de l’apprentissage, voie de formation très noble que l’on connaît finalement assez mal et qui est souvent, à tort, stigmatisée. Souvent, en effet, on pense que l’apprentissage est une voie de repli, réservée aux publics en difficulté ou en situation d’échec. Nous avons sans doute à mener ensemble une révolution culturelle pour faire tomber les clichés et rendre à l’apprentissage – et, plus généralement, à la voie professionnelle – ses lettres de noblesse.

Nous devons mieux faire connaître ce qu’est l’apprentissage auprès de la communauté éducative, des parents, des enseignants et des éducateurs, et je sais que Najat Vallaud-Belkacem s’y emploie chaque jour aux côtés des personnels du ministère de l’éducation nationale, qui jouent naturellement un rôle essentiel en la matière – j’y reviendrai.

Dans le contexte que nous connaissons, il n’y a pas de place pour les postures, les caricatures ni les polémiques. Le débat que nous ouvrons ce soir est important et mérite l’attention de tous, car il concerne l’avenir de notre jeunesse. Pour cela, nous devons nous écouter et étudier toutes les propositions qui viennent du terrain – des parlementaires, des partenaires sociaux, des acteurs de la formation, des associations, des entreprises et des collectivités, en particulier des régions, qui ont une responsabilité majeure en matière de formation.

C’est dans cet état d’esprit que je m’exprime devant vous ce soir. J’ai été attentive aux propositions que vous avez formulées, monsieur le rapporteur, dans le cadre de votre proposition de loi.

Je ne veux ni ne peux nier que certains jeunes se trouvent en échec scolaire à quatorze ans. C’est du reste tout l’objet de la politique de lutte contre le décrochage scolaire que mène avec conviction ma collègue Najat Vallaud-Belkacem et nous obtenons d’ailleurs des résultats encourageants, car le nombre de jeunes sortis du système scolaire sans qualification a chuté de 20 % en très peu de temps.

Nous avons cependant, monsieur le rapporteur, un désaccord majeur. La proposition de loi que vous présentez ce soir veut ouvrir l’apprentissage dès quatorze ans en alternance. Bien sûr, je comprends votre objectif, qui est de faciliter l’insertion professionnelle des jeunes en situation d’échec en leur apprenant un métier, en les insérant progressivement dans l’entreprise. Mais votre proposition de loi va bien plus loin : vous proposez que les jeunes apprentis puissent désormais être considérés dès l’âge de quatorze ans comme des salariés à part entière – vous venez pourtant de les désigner comme des jeunes sous statut scolaire – et que le chef d’entreprise puisse confier aux apprentis des missions identiques à celles des autres salariés, sans préciser d’ailleurs si l’apprenti pourra bénéficier d’une rémunération.

La majorité à laquelle vous apparteniez avait pourtant mis en place l’apprentissage junior, que vous n’avez visiblement pas jugé très concluant à l’époque, puisque vous l’avez suspendu dès la rentrée 2007, un an à peine après l’avoir mis en place en 2006. Moins de 1 000 jeunes seulement en ont bénéficié. Je m’étonne donc que vous souhaitiez le remettre en place.

Sur le fond, votre proposition suppose que les jeunes aient choisi en conscience, dès quatorze ans, le métier qu’ils entendent exercer, mais aussi qu’ils aient la maturité suffisante pour se projeter et s’engager dans la démarche de l’apprentissage, où ils doivent acquérir les codes de l’entreprise. Vous savez très bien que tous les jeunes ne peuvent satisfaire à cette exigence et que tous les employeurs n’acceptent d’ailleurs pas de recruter si tôt des jeunes si inexpérimentés, parfois même si vulnérables. C’est du reste parce que nous avons constaté une baisse du nombre des contrats d’apprentissage conclus avec des mineurs que nous avons créé l’aide « TPE jeune apprenti ».

En outre, je vous l’ai dit, cette proposition soulève aussi une question de droit. En effet, l’âge d’entrée dans la vie active étant légalement fixé à seize ans, l’ouverture de l’apprentissage dès quatorze ans en alternance n’est tout simplement pas conforme à la directive européenne de 1994 relative à la protection des jeunes au travail. La seule dérogation possible concerne les jeunes âgés d’au moins quinze ans au cours de l’année civile, qui peuvent souscrire un contrat d’apprentissage s’ils justifient avoir accompli la scolarité du premier cycle de l’enseignement secondaire. C’est d’ailleurs afin de respecter la législation européenne que l’ancien ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République du 8 juillet 2013, est revenu sur les dispositions antérieures.

Plus généralement, toutefois, je ne veux pas renoncer à ce que les jeunes acquièrent un socle minimum de compétences qui leur permettra d’évoluer professionnellement tout au long de leur vie. Vous le dites d’ailleurs vous-même : « l’apprentissage ne doit plus être le filet de repêchage pour les décrocheurs, mais une voie d’excellence pour l’ensemble des élèves qui veulent apprendre un métier ». Je partage cette ambition. Oui, l’apprentissage est une voie d’excellence. Oui, l’apprentissage est utile pour une partie de notre jeunesse, pour nos entreprises et pour notre économie. Oui, l’apprentissage doit être favorisé, mais pas à n’importe quel prix.

Nous devons ensemble promouvoir plus encore l’apprentissage. C’est notre responsabilité partagée. Il faut dire et expliquer aux acteurs ce qu’est l’apprentissage. Pour cela, nous devons engager une mobilisation nationale en faveur de l’apprentissage et mieux accompagner les entreprises dans cette voie. Nous devons les y encourager.

J’en viens à présent aux autres mesures de cette proposition de loi, qui prévoit notamment la fusion des centres de formation d’apprentis – les CFA – et des lycées professionnels. Vous avez raison : il y a bien deux voies de formation professionnelle initiale, qui sont tout à fait complémentaires et répondent à des besoins différents. Cette alternative se justifie et il ne me paraît pas pertinent de la remettre en cause.

Avec l’apprentissage, un jeune choisit un métier, à l’exercice duquel le contenu de la formation est spécifiquement adapté. Il y a là une exigence forte, car le jeune est à la fois en formation et déjà salarié, avec une place au sein d’un collectif de travail. Cette voie comporte des avantages : le jeune formé par l’entreprise connaît mieux les codes et les valeurs de l’entreprise et se constitue un réseau, gage de son insertion professionnelle. Elle suppose cependant qu’il ait défini très précisément sa voie professionnelle et qu’une entreprise accepte de signer un contrat d’apprentissage.

Avec l’enseignement professionnel, le chemin est différent : le jeune peut certes aussi choisir directement un métier mais, généralement, il choisit plutôt un secteur professionnel dans lequel il acquerra une formation qui lui permettra par la suite de choisir entre différents métiers.

La fusion des CFA et des lycées professionnels n’est donc pas souhaitable. Vous avez cependant raison sur un point : nous devons mieux veiller à la complémentarité des sessions de formation dispensées en lycée professionnel ou en CFA et il est de notre responsabilité d’offrir les formations les plus efficaces, répondant aux besoins des entreprises. À ce titre, les régions ont un rôle important à jouer, en ce qu’elles arrêtent la carte des formations.

Par ailleurs, monsieur le rapporteur, je souscris à certaines des autres propositions que vous détaillez dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi. La plupart d’entre elles ont été mises en oeuvre dans le cadre du plan de relance que le Président de la République a décidé en septembre 2014 et qui a été soutenu collectivement par les acteurs. Ce plan avait plusieurs objectifs.

Le premier est de mettre en place une offre de services numériques complète pour permettre aux employeurs et aux apprentis de consulter les offres de contrats d’apprentissage disponibles dans chaque territoire.

Je sais que la région PACA a déjà travaillé sur l’intermédiation de l’offre et la demande. L’offre de services numériques que nous proposons est complémentaire des initiatives locales et peut très utilement couvrir les territoires qui ne se sont pas engagés pour le faire.

En outre, l’offre de services que je propose est plus complète que cette bourse à l’apprentissage qui, depuis le mois d’octobre, recense les offres d’emploi des entreprises ainsi que les offres de formation.

L’employeur peut désormais simuler sur le portail de l’alternance les aides qui lui sont associées et calculer la rémunération qu’il devra verser aux jeunes. Il peut aussi demander en ligne le bénéfice de l’aide « TPE jeunes apprentis ». En outre, pour aller plus loin, j’ai souhaité que d’ici à quelques mois, il soit possible d’enregistrer en ligne les contrats d’apprentissage. Enfin, au printemps prochain, un outil d’aide à la décision pour prospecter les entreprises qui pourraient recruter des apprentis sera proposé, en particulier aux régions.

Le deuxième objectif a été de lancer au niveau national une démarche d’engagement de services des CFA afin d’accompagner le développement de services d’appui et de conseil aux employeurs et aux apprentis au sein des CFA. Il s’agit très concrètement de proposer des outils aux CFA afin de les engager dans des démarches de qualité qui pourraient être reconnues par les régions dans le cadre des conventions de gestion. Les travaux sont en cours au sein du CNEFOP – Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles – et devraient aboutir dans les prochaines semaines.

Le troisième objectif est de mettre en place un statut de l’apprenti, c’est-à-dire d’établir un socle complet de droits et de prestations. D’ores et déjà, le décret permettant la prise en compte des périodes d’apprentissage pour le calcul des droits à la retraite a été publié. Les partenaires sociaux, sous l’égide du CNEFOP, ont commencé les concertations sur ce sujet en juillet dernier.

Autre objectif : adapter le cadre de recrutement des apprentis. Ainsi, la réglementation relative à l’emploi des apprentis mineurs a été fortement revue par le décret publié en avril dernier, sans réduire pour autant le niveau de protection des jeunes qui devront être préalablement formés avant d’être affectés à des travaux réglementés.

Il fallait adapter les conditions d’emploi des apprentis, ce que nous avons fait. Contrairement à ce que j’entends encore dire, les jeunes peuvent aujourd’hui monter sur un escabeau pour changer une ampoule ; l’apprenti boucher peut se servir d’un couteau pour apprendre à découper la viande ; même l’apprenti boulanger peut apprendre à pétrir sa pâte à partir de quatre heures du matin.

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