Intervention de Jacques Chanut

Réunion du 28 janvier 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Jacques Chanut, président de la Fédération française du bâtiment, FFB :

Le paritarisme est un élément fondateur du secteur du bâtiment qui a toujours su montrer sa capacité à évoluer, et qui a construit une communauté sociale et économique sans équivalent autour du fait majeur que constitue le chantier. En matière de progrès social, le secteur a très souvent été en avance sur la loi. L'histoire de ces progrès peut se décrire en quatre phases.

De 1900 à l'après-guerre, se sont structurés les premiers organismes et les conventions collectives. En 1920, le BTP crée une première caisse des allocations familiales, alors que la loi n'interviendra en la matière que douze ans plus tard – je rappelle que les syndicats d'entrepreneurs furent créés à la fin du XIXe siècle pour organiser une première caisse de garantie des accidents du travail. En 1936, furent conclues les premières conventions collectives de branche du bâtiment. Notre médecine professionnelle du travail spécifique a vu le jour en 1942 – le secteur a toujours eu conscience de la forte particularité de ses métiers sur ce plan. En 1947, sont mises sur pied les caisses de prévoyance et de retraite, et, en 1954, c'est au tour des conventions collectives.

La période allant de 1960 à 1990 est marquée par la création des régimes et organismes gestionnaires dans le champ de la protection sociale et de la formation. Avec la Caisse nationale de retraite des ouvriers du bâtiment (CNRO), le secteur institue un régime de retraite obligatoire. Avec la Caisse nationale de prévoyance des ouvriers du bâtiment (CNPO), la profession est aussi la première à créer un régime de prévoyance complémentaire. L'accord sur la mensualisation date de 1970 alors que le législateur ne se prononcera que presque dix ans plus tard sur cette question.

Entre 1990 et 2009, ont lieu à la fois une rénovation et une simplification des statuts, mais aussi la création de dispositifs novateurs visant à renforcer l'attractivité du secteur. En 1993, six caisses de retraite et de prévoyance se regroupent dans une même structure appelée PRO BTP. L'organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) Bâtiment est créé en 1995. Durant cette période, on peut aussi citer la mise en place des chèques-vacances pour les petites entreprises, ou l'accord sur le statut de l'apprenti.

Depuis 2009, nous nous trouvons dans une quatrième période caractérisée par la signature d'accords sociétaux et d'adaptation aux nouveaux équilibres. Au moins un accord a été signé chaque année comme, en 2009, ceux relatifs à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, ou à l'emploi des seniors. En 2011, c'est l'accord sur la prévention de la pénibilité et l'amélioration des conditions de travail dans le BTP ; en 2012, celui sur la sécurisation des forfaits jours ; en 2013, celui sur les contrats de génération.

Deux principes ont présidé à la conclusion de l'ensemble de ces accords et aux échanges entre partenaires : d'une part, la mutualisation, et, d'autre part, la solidarité entre les entreprises et envers leurs salariés. Ces deux principes constituent les deux faces de ce que l'on appelle le paritarisme. Il s'agit, d'un côté, du paritarisme de négociation, celui des accords collectifs, et, de l'autre, du paritarisme de gestion qui consiste à gérer en commun les organismes sociaux que nous avons créés ensemble pour la mise en oeuvre des règles négociées collectivement – en la matière nous avons une culture et une histoire fortes.

Le paritarisme de gestion s'est imposé très tôt dans le secteur du bâtiment, car les dirigeants de la profession ont rapidement compris que la faiblesse syndicale dans les entreprises, du fait de leur petite taille, ne devait pas les dissuader de mener une politique sociale novatrice. La mise en place d'outils divers était destinée à permettre à tous, entreprises comme salariés, de bénéficier d'un niveau identique de services et de protection. Ils ont aussi compris que, compte tenu des spécificités du bâtiment – j'ai déjà évoqué l'importance du chantier qui induit une dispersion géographique et une très forte mobilité des compagnons –, cette politique sociale devait être mise en oeuvre par des organismes sociaux centralisés déchargeant les entreprises de la gestion administrative des droits accordés aux salariés.

Tout au long de son histoire, le secteur du bâtiment a montré que la dimension sociale était l'un de ses meilleurs atouts en termes d'attractivité. Il a toujours semblé important de donner aux salariés une protection en raison de la nature de leurs tâches, même si la très grande mobilité de ces derniers ne permet pas à toutes les entreprises du secteur, souvent de petite taille, de répondre directement à leurs attentes et de les gérer.

Ce modèle est aujourd'hui menacé. D'une part, nous constatons l'émergence d'une concurrence de la part d'entreprises étrangères du secteur du bâtiment ou de l'intérim, qui pratiquent un fort dumping social en s'affranchissant des règles de base du droit du travail, qu'elles soient relatives aux salaires, aux charges sociales, à la durée du travail, à la formation ou à la sécurité. Cela a des conséquences lourdes sur l'appareil de production, sur l'emploi, sur l'équilibre financier des organismes sociaux et sur la totalité de notre appareil de formation.

D'autre part, nous assistons à la remise en cause du principe de mutualisation. La liberté contractuelle constitue évidemment une valeur forte pour tous les entrepreneurs et les artisans du bâtiment. Elle doit cependant être compatible avec le principe de mutualisation. Au-delà de l'histoire et de la culture, ce principe nous paraît essentiel, car nous pensons que la plupart de nos petites entreprises ne pourraient pas faire face seules à la complexité administrative et au maquis des règles sociales en vigueur. Pour les protéger, et donc pour protéger leurs compagnons, il paraît indispensable de conserver un esprit de mutualisation qui permet aussi de lisser dans le temps les impacts financiers ou les variations d'activité qui peuvent être fortes dans notre secteur. Pour ces raisons, et parce que nous avons une culture du paritarisme de gestion, nous sommes très attachés aux organismes de mutualisation.

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