Intervention de Jacques Chanut

Réunion du 28 janvier 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Jacques Chanut, président de la Fédération française du bâtiment, FFB :

Monsieur le rapporteur, ma réponse à votre question relative aux branches professionnelles sera seulement pragmatique et en aucun cas corporatiste. Dans un secteur qui compte énormément de petites structures, les entreprises n'ont ni le temps ni toujours la capacité de gérer certains problèmes. Il nous paraît indispensable de renforcer les branches plutôt que l'interprofession en tant que telle. La spécificité sociale et organisationnelle des entreprises concernées nous amène à penser que l'avenir est davantage à la mutualisation au niveau de la branche qu'à une solution qui reviendrait à laisser ces dernières gérer seules des aspects essentiels de leur vie quotidienne.

Il s'agit aussi de négocier certains éléments dans la branche afin d'éviter toute forme de « concurrence sociale » qui peut toujours s'installer dans une industrie de main-d'oeuvre. Notre organisation ne souhaite pas que la main-d'oeuvre devienne une variable d'ajustement des conditions de protection sociale des salariés. Il faut que les choses soient encadrées au niveau collectif pour éviter les tentations ou les dérives que l'on connaît, par exemple, avec le détachement.

Non seulement la branche a tout son sens, mais elle doit logiquement constituer l'un des socles sur lesquels fonder le dialogue social entre des acteurs qui connaissent parfaitement les spécificités du secteur, qu'il s'agisse des représentants patronaux ou de ceux des compagnons. Nous avons du mal à imaginer que certains puissent vouloir se passer d'elle.

Depuis 1936, nous disposons par exemple d'une caisse de congés payés imaginée pour sécuriser les droits aux congés des compagnons, quels que soient leur lieu de travail et leur entreprise. Les accords de branche ont permis cette avancée sociale. C'est ce type de spécificité qu'il nous faut préserver.

Notre position sur l'autoentrepreneuriat est également pragmatique. Nous ne sommes pas opposés au principe – comment pourrions-nous l'être, nous qui sommes tous des entrepreneurs et des artisans cultivant l'esprit d'entreprise ? Nous affirmons seulement que ce statut n'est pas adapté à notre secteur, non seulement parce qu'il crée de la concurrence déloyale – le fait de ne pas être assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) joue vraiment sur les prix —, mais aussi parce qu'il ne pousse pas à la création de structures beaucoup plus pérennes.

Dès lors que le coût de la main-d'oeuvre représente 80 à 90 % du prix, si votre existence économique tient à l'avantage concurrentiel qui vous est donné par le jeu de la TVA, rien ne vous poussera à vous installer, car vos nouveaux prix ne vous permettront ni de conquérir de nouveaux clients ni de conserver les anciens. La concurrence déloyale prend aussi une forme particulière dans le secteur du bâtiment, car, contrairement à l'industrie dans laquelle les salariés qui fabriquent les produits sont rarement en contact avec les acheteurs, nos compagnons travaillent chez nos clients. S'ils sont par ailleurs installés en autoentrepreneurs, ils peuvent parfaitement proposer d'accomplir un travail complémentaire pour leur propre compte : le salarié qu'une entreprise envoie repeindre une cuisine peut revenir durant le week-end pour le salon.

Donner un statut à quelqu'un qui veut s'installer et faire un essai en tant qu'entrepreneur, c'est plutôt une bonne chose. Mais si, après un ou deux ans, aucun chiffre d'affaires n'est déclaré, il faut bien constater que l'entreprise ne pourra pas être pérenne.

Le caractère déclaratif a posteriori constitue aussi l'une des différences majeures entre l'autoentreprise et les autres statuts. Dans notre secteur, il sert de couverture forte pour le travail au noir : les autoentrepreneurs qui veulent ne rien déclarer savent qu'ils peuvent toujours régulariser la situation a posteriori en cas de contrôle. Le fait qu'un bon nombre d'autoentrepreneurs du bâtiment ne déclarent aucun chiffre d'affaires crée un très grand doute sur l'efficacité de ce statut. Et je n'ai pas besoin d'évoquer les problèmes d'assurance et de sécurité : vous comprenez que nous sommes fortement opposés à l'autoentrepreneuriat qui n'est pas adapté à notre secteur.

Parce qu'elle repose sur des rapports directs avec le client, l'économie collaborative n'est pas sans effet sur le bâtiment. Il s'agit pour nous d'une révolution, car nous sommes davantage des hommes et des femmes de métier que de commerce. Nos artisans et entrepreneurs n'ont pas la même relation aux clients que dans les secteurs marchands plus classiques : ils maîtrisent finalement peu le rapport d'échange et de contact propre à l'économie collaborative. Les inquiète-t-elle ? Oui et non, car, si nous restons un véritable secteur de production et de transformation dans lequel le faire et le savoir-faire individuels sont les éléments essentiels de la relation commerciale, les moyens d'obtenir des marchés évoluent.

Notre fédération réfléchit aujourd'hui aux moyens de préparer nos adhérents à cette révolution. Le travail se fait notamment au sein de notre groupe « Jeunes dirigeants ». Il s'agit d'informer et d'accompagner les entreprises, mais surtout de « dédramatiser », car cette nouvelle forme d'économie peut fournir les moyens de contact plus directs et plus efficaces. Cela dit, la production reste la production : tout ne peut pas tenir dans un monde virtuel !

Vous avez évoqué des dispositions qui devaient figurer dans le projet de loi pour les nouvelles opportunités économiques. Pour notre part, nous croyons au salariat, même si nous estimons qu'il faudrait probablement assouplir l'ensemble des relations sociales, par exemple entre les entreprises et les branches, pour que le salariat soit plus « naturel ». Si les nouveaux statuts se multiplient, c'est pour contourner la complexité apparente ou réelle des rapports qu'il induit.

Cependant, j'avoue que la volonté de balayer les critères de qualification ou d'expérience professionnelle nécessaires pour s'installer nous inquiète un peu. Nous comprenons une démarche intellectuelle qui consiste à dénoncer les freins à l'emploi ou à faciliter l'installation de ceux qui n'ont pas un parcours classique, mais nous demandons un peu de cohérence. Si, dans notre secteur, la qualification et la formation sont essentielles pour répondre techniquement à l'attente des clients, on ne peut pas laisser n'importe qui s'installer n'importe comment. Je ne parle même pas des impératifs de sécurité qui protègent les artisans et les compagnons autant que les clients.

Il nous semblerait ubuesque d'introduire des circuits à deux vitesses avec, d'un côté, les artisans traditionnels auxquels on demanderait des certifications et des compétences minimales en termes de sécurité, et, de l'autre, des personnes qui s'affranchiraient de toutes les règles – ce qui est déjà le cas de l'autoentrepreneur. Cela n'irait pas dans le bon sens.

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