Intervention de Raymond Soubie

Réunion du 28 janvier 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Raymond Soubie, président du groupe d'information professionnelle AEF, président des sociétés de conseil Alixio et Taddeo, conseiller du Président de la République de 2007 à :

La démocratie parlementaire l'emporte sur la démocratie sociale, ainsi que le veut la hiérarchie des normes.

Il y a deux ans, au Conseil économique, social et environnemental (CESE), à l'occasion de la rédaction d'un rapport sur la formation professionnelle, nous avons reçu Jacques Delors en section. Il se trouve que j'avais travaillé auprès de lui à l'élaboration de la loi sur la formation professionnelle de 1971. Je lui ai posé une question dont je connaissais la réponse : « La loi de 1971 a totalement respecté l'accord préalablement conclu entre les partenaires sociaux, n'est-ce pas ? » Il m'a regardé, stupéfait, et m'a répondu : « Cher Raymond, nous y avons travaillé ensemble ! Vous avez perdu la mémoire : bien sûr que non ! » En réalité, les dispositions relatives au financement, qui étaient le coeur du réacteur, ne figuraient pas dans l'accord : elles n'ont été introduites que dans la loi. J'ai alors complété ma question à Jacques Delors : « C'est de l'histoire ancienne. Aujourd'hui, selon vous, le Parlement est-il tenu de suivre un tel accord ? » Il nous a répondu que non, et je suis de son avis.

Il y a environ sept ans, lorsque j'étais conseiller à l'Élysée et que la réforme constitutionnelle était en préparation – les réformes constitutionnelles donnent toujours des idées à beaucoup de gens, c'est la loi du genre –, les dirigeants de deux grandes organisations françaises, dont je tairai le nom, ont fait une démarche commune auprès de moi afin que soit introduit dans la Constitution le principe selon lequel un accord national interprofessionnel (ANI) signé par des syndicats représentant au moins 50 % des salariés aurait valeur de loi. Je leur ai répondu : « Comment pouvez-vous dire qu'un accord signé par les partenaires sociaux, fût-il majoritaire, équivaut à la loi ? Que faites-vous de la souveraineté nationale ? »

Quel que soit le système d'adoption de ces accords, qu'il y ait un référendum ou non, le dernier mot doit appartenir au Parlement. Bien entendu, celui-ci doit agir avec habileté – il le fait. En tout cas, il ne doit pas être pieds et poings liés, non seulement pour la raison de principe que j'ai évoquée alors, la primauté de la souveraineté nationale, mais aussi pour des raisons pratiques : il arrive que ces accords soient décidés dans la précipitation, par des partenaires sociaux fatigués, qui se réunissent de nuit, et que certaines parties du texte ne soient pas parfaitement limpides, pour ne pas dire qu'elles sont incompréhensibles, ce que les signataires reconnaissent eux-mêmes le lendemain matin… Il arrive aussi que des mesures soient introduites au dernier moment pour emporter l'accord de l'autre partie – ce qui se comprend dans une négociation – sans que personne ait réfléchi à leur applicabilité. Dans ces cas-là, le Parlement est amené à jour un rôle de « tamis ».

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